Zarca est posé au comptoir du Zorba à Belleville. Veste en cuir noire, un coude sur le zinc, il vient nous parler de Paname Underground, son dernier roman ; véritable guide non censuré d’un Paris extrême, marginal et violent. L’auteur qui remporte aujourd'hui le Prix de Flore s’est fait connaître grâce son blog Le Mec de L’Underground qui laissait déjà émerger un style gonzo qui fleurait bon le bitume. Après trois bouquins (Le Boss de Boulogne, Phi Prob et P’tit Monstre), Zarca est de retour avec un guide underground qui nous emmène dans le Belleville des lascars, la Chapelle des toxicos, le Rive Gauche des FAF ("France aux Français", militants d'extrême droite) ou encore le Pigalle des prostitués. Sexe, drogue, prostitution, bastons, précarité : c’est un monde souterrain que nous invite à découvrir Zarca, de sa plume incisive, sans pitié ni romance. Il y a de l’humour, noir bien sûr, une énorme dose d’adrénaline, des substances en tous genres, de l’illégalité et surtout beaucoup d’humanité. Le Mec de l’Underground trempe ses lèvres dans une petite mousse avant de nous parler du récit haletant d’un Paname à contre courant. Rencontre en eaux troubles.
Comment l’envie d’écrire est-elle née ?
Depuis tout petit, j’aime raconter des histoires, inventer, j'y prends beaucoup de plaisir. J’ai retrouvé un des textes que j’avais écrit quand j’avais 6 ans. Ça s’appelait Les Voyages de Robert. Je le racontais à l'oral à mon frère qui l’écrivait ensuite. Dans l’histoire, il arrivait plein d’aventures à Robert, Dieu lui parlait, et il devait faire plein de choses bizarres. J'ai toujours inventé des histoires assez glauques en fait. Le lancement du blog Le Mec de l’Underground s’est fait assez naturellement. Il y a eu un article dans Les Inrocks et ensuite les éditions Don Quichotte m’ont contacté pour écrire un livre.
Et écrire sur l’Underground, ça vient comment ?
Toutes les histoires que j’ai écrites ont toujours été sombres. J’aimais bien les milieux violents. Peut être que j’ai un côté voyeuriste aussi. Je ressens à la fois une aversion pour certaines choses de l'underground, mais en même temps ça m’attire. J’ai grandi en banlieue parisienne. J’étais à l'école publique dans une minuscule ville avec seulement trois lycées donc tout le monde se connaissait. Et dans le lot, il y avait pas mal de lascars. J’ai toujours été attiré par ces milieux là. Ce sont des gens que j’ai rencontré tout au long de ma vie. Je viens d’un milieu intellectuellement aisé mais j’ai un peu 4000 identités. J’ai des potes voyous, d’autres journalistes ou médecins. Ce sont tous pour la plupart des portraits de connaissances dans le livre.
D’ailleurs c’est quoi l’Underground pour toi ?
L'underground c'est les bas fonds parisiens, les milieux extrêmes. T’es en permanence en train de frôler le danger. Certains sautent en parachute, moi je fréquente l’underground. Ça se came, ça se défonce, ça baise. Il se passe toujours quelque chose. Paname Underground, c'est un peu l’histoire du petit mec qui veut faire son guide de bourgeois. Il cherche l’underground, il le trouve mais ça lui retombe dessus. Ce safari dans le border va finir par lui revenir dans la gueule. Il fréquente des univers, des microcosmes, des lascars, des FAF…
« Paname Vice City, le guide de l’Underground parisien. Je pourrais consacrer un chapitre au bois de Boubou, un autre aux bars à putes de Pigalle, un à Bezbar, je pourrais sillonner la place de la Nation avec mon pote Bibo et son équipe de charclos, Azad avec les réfugiés afghans le long du canal Saint-Martin, Seb et les skins du 15e, plonger avec mon pote Komar dans les catas, me rencarder sur la Chinese connexion de Belleville. »
Tu es finaliste du Prix de Flore (ndlr. Zarca était encore finaliste quand on l'a rencontré, il a aujourd'hui remporté le Prix), est-ce que tu te sens un peu comme l’ovni de la sélection ?
Franchement déjà ça fait très plaisir d'en faire partie. Et puis je n’ai jamais senti de rejet, je ne crache pas dans la soupe clairement. Je sais que Beigbeder (ndlr. un des jurés du prix de Flore) a aimé par exemple. Mais c’est sûr que y’a pas grand monde qui taffe sur l’argot, sur le juron au niveau du langage, du style. A l’époque, nos parents connaissaient la patte Audiard ou par exemple des films comme Touchez pas au grisbi de Jacques Becker. Scarface tout ça, c’est bien mais, je ne me reconnais pas là-dedans. Je ne parle pas des voyous mais des parias. Les toxs, les putes, les clodos. Ceux qu’on ne veut pas voir. Y'a Rachid Santaki qui écrit des romans urbains : Les anges s’habillent en caillera ou Des chiffres et des litres, mais c’est plus un côté polar, genre flics ripoux et braqueurs.
Il y a des mots très street que l’on ne comprend pas toujours dans ton livre, pourquoi ne pas avoir fait un lexique ?
Ça donne un côté pédagogique l’argot. C’est mon style, je ne vais pas mettre un lexique. C’est une façon pour moi de faire entrer les gens dans un monde. Et dans l’action, on comprend ce que veulent dire les mots, c’est un pont pour mettre un pied dans l’Underground.
« Mardi. Je déboule dans la zone industrielle de la porte d’Auber un peu avant 22 heures. A l’ancienne c’était le Bronx ici, entre les gueuches du boulevard Macdonald et les tartineuses postichées sous les Abribus du boulevard Ney, l’ambiance ghetto, les rues crades et les gars de la cité Lénine qui traînaient autour de la station Total et du square Claude-Bernard pour dépouiller des bouffons et bicrave leur « sem » au goût du pneu frelaté. »
Dans Paname Underground, on ne sait jamais si on est dans la réalité ou la fiction, comment tu doses ?
Il n’y a pas de méthode, ce sont des choses qui viennent. Certaines situations sont vraiment arrivées d’autres non. J’ai jonglé comme je voulais justement entre la fiction et la réalité. Il y a des spots qui existent vraiment, des scènes réalistes et puis une part d’imaginaire bien sûr, de fantasmé. C’est ça que j’aime, c’est perturber le lecteur qui ne sait jamais si j’ai vécu ces situations. Le réel et la fiction, ça m’amuse. J’ai pris des libertés dans l’histoire. Il faut créer de la fantaisie. Le livre dépasse le cadre de l’écriture. Et finalement on s’en fout de savoir le faux du vrai. Il y a une grande part d’impro dans mon écriture.
Tu t’es permis plus de choses pour ce roman ?
Je pense que c’est le plus soft de mes livres, c’est peut être pour ça qu’il est plus accessible aussi. Il est plus mainstream. Mais généralement je ne me pose aucune limite. Quand je fais un truc gênant, je l’enlève si ça n’apporte rien. Je m’autocensure très peu. Après je n’ai pas envie de faire chier les gens. Le but n’est pas de dénoncer leurs pratiques ou de balancer les lieux où ils sortent. Je ne suis pas là pour étaler la vie des gens.
« Assis sur un canapé en cuir, je reconnais d’ailleurs un présentateur télé dont je tairai le nom, accompagné d’une tismé à la ganache juvénile et aux cheveux blond platine, robe courte, moulante et décolettée, escarpins brillants aux pattes, piercing à la lèvre inférieure et tchoutchs sans doute trafiqués. Je longe le couloir principal illuminé par des lustres en cristal, déboule dans le grand salon bordé de rideaux rouges style versaillais. Jipé dépeint son duplex du 9e comme un espace de liberté totale. Dans ce royaume de la débauche, ça joue, ça pillave, ça se came, ça graille et ça partouze à l’étage supérieur. »
Avec tout ce que tu balances, tu n’as pas eu peur ?
La peur est très présente dans le livre. Quand t'es le seul blanc-bec dans une bande de crackers, ça fait flipper... Dans le Bois de Boulogne, il y a beaucoup de toxicomanie, les mecs te montrent plein d’armes alors qu’ils ont le cerveau complètement cramés. Ça fait peur, c’est sûr. Pour mon livre sur les travailleurs du sexe, Le Boss de Boulogne, certains ont mal pris mon bouquin et me l’ont un peu fait payer. Comme j’incarnais un narrateur homophobe, le Boss, dealer officiel des trans, certains ont un peu tout confondu…
« Quand tu écris à la première personne, les lecteurs t’identifient parfois à ton narrateur. C’est comme ça que des tocards m’ont confondu avec le Boss de Boulogne, dealer sans pitié et casseur de pédés. Des charbonneurs du sexe et des assoces à la mords-moi-le-zboub sont venus me péter les couilles après la parution de mon roman. Je ne me suis pas privé de répondre à mes détracteurs d’aller se faire mettre, pas responsable pour un Kopek de leur manque de discernement. »
Comment fait-on pour revenir à la vie normale quand on écrit sur l’underground ?
Pour le moment je ne suis jamais revenu dans le monde normal. C’est un peu compliqué… Et puis en ce moment j’écris un nouveau roman sur un mec, un prof un peu looser et connard qui va devenir un mec bien grâce à la drogue. Une apologie complète de la came quoi ! En gros, contrairement à peut être 99% des gens que ça détruit et qui partent en couille, ce gars là ça va le rendre meilleur. Taper de la coke va le rendre productif, certaines drogues vont le rendre empathiques et il va redresser sa vie. Je suis toujours là dedans quoi !
La drogue et l’alcool t’ont permis de te sociabiliser, de pénétrer plus facilement les milieux de l’underground ?
La drogue ça aide à faire sauter les verrous c’est sûr. L’alcool aussi. Ça devient normal de consommer et ça t’emmène d’une situation à une autre. C’est comme ça que tu te retrouves à fumer de l’opium avec des Afghans au Square Villemin.
Il y a de réels codes entre les différents quartiers dont tu parles et surtout une sorte de typologie des drogues…
Carrément. Les crackers ne vont pas chez les riches ou les intellos. Il y a des codes dans la rue. Tu as plein d’univers underground super différents. Chaque univers a ses propres drogues. La haute c’est la coke, les lascars le bédo, les gays de l’underground c’est la GHB, les Afghans c’est l’opium, les FAF, les stéroïdes, les vrais toxs, c’est plus le Skenan ou le crack. D’ailleurs pour les FAF c’est marrant, t’as un culte de la virilité, les mecs sont super baraques mais derrière, ils bandent mous à cause des stéroïdes. Bref, t’as quasiment un guide différent pour chaque groupe.
« Cylia et mois fumons depuis deux plombes et je commence à me détendre. Le down de mes dernières semaines s’évapore doucement. Quoi que racontent les adeptes du bien-être et les assos antinarcotiques, la came permet de se détourner des pensées parasites, de prendre congé de cette vie de merde, le temps d’une défonce. En deux heures, Cylia et moi avons refait le monde. Je ne me souviens plus dans quel ordre mais nous avons parlé de cul, d’actifs et de passifs, de sodo et de branlette espingouine, d’opération de vaginoplastie, de rabla, de chnouf et d’ecstas, d’un restau indien de la rue Quincampoix, du conflit israélo-palestinien, de la Chine, du derche de Beyoncé, de mes bouquins et du Tati de Bezbar. Et bien sûr de Dina. »
Quelles œuvres t’inspirent au quotidien ?
J’ai des influences multiples. Dans les films je suis très marqué par The Machinist de Brad Anderson ou l’univers cinématographique de Gaspar Noé. Une ambiance très sombre, contemporaine. J'aime beaucoup aussi le bouquin Miso Soupe de Murakami. Sinon, je puise beaucoup mon inspiration dans des phrases du quotidien, des tics de langage des autres. Si quelqu’un sort une expression atypique, je vais la retenir direct. Genre, un de mes potes dit pour éjaculer : « cracher la purée. » Du coup, je l’ai retenu.
C’est quoi tes quartiers parisiens préférés ?
A Belleville, j’ai beaucoup de potes. J’adore y bouffer surtout, particulièrement asiatique ou tunisien. Les raviolis chinois rue de Belleville, c’est quelque chose ! Chez René et Gabin ou Tunis Tunis. J’ai une vraie attraction gourmande pour ce quartier. A Strasbourg Saint Denis, j’aime bien les bars comme Les Petites Tonneaux par exemple, un lieu bien présent dans mon livre.
Toi qui connais bien la drogue, les putes et les toxs, tu as un avis sur les politiques mises en place à Paris ?
A porte de La Chapelle, on a abandonné les toxs, les clodos, les migrants. C’est moche, c’est crade et la structure de Paname a fait en sorte qu’on puisse les abandonner. Ce sont des milieux hyper précaires, la nuit, les trans, les trafics, les voyeurs, tout ça c’est un monde à part. Bien sûr qu’il faut des salles de shoot. Les maisons closes pour les prostitués pourquoi pas, mais je ne suis pas là pour donner un avis politique. Le macronage est interdit mais il est partout. C’est la mise en application qui est compliquée. Je ne veux pas non plus faire passer les gens dont je parle pour gentils ou méchants. Pour moi ce serait une vision fermée de l’humanité. Pourquoi ils en sont là, ce n’est pas mon problème. Sinon je perds l’authenticité du cru. Je déteste les trucs qui reviennent sur l’enfance. Le côté : expliquer la manière dont les gars en sont arrivés là. Je raconte leur univers radical, sans filtre et sans justification. Il n’y a que des extrêmes : dans la drogue, le sexe ou le travail.
« La clique des toxicos installée derrière la barrière de sécurité me reluque avec insistance. Parmi la team, une renoie décharnée au crâne rasé et au visage boutonneux me pointe du doigt, je la zieute du coin de l’œil. Sa minijupe ras-la-fouf me laisse imaginer que cette zouz est une soussou, une pute à came, l’échelon le plus bas de la putasserie. Elle donne sa canette au grand rabza et deux de tense, rapplique dans ma direction. »
C'est quoi la suite ?
Il y a un docu en cours sur Paname Underground. On a sorti la bande-annonce qui a grave cartonné ! L’idée c’est de montrer des lieux, des gens du Paname Underground. On va bientôt commencer à tourner, on veut faire les choses bien, mais on n’a pas encore de date de sortie. Affaire à suivre !