Un vent d’air frais souffle sur les internets. Elles sont belles, intrépides, engagées, tendance, et certainement plus sportives que nous : les super-mamies s’emparent de nos réseaux pour faire voler en éclats les clichés. Analyse d’un phénomène, et hommage à ces héroïnes modernes.
A l’origine de cet article, il y a la découverte hasardeuse du compte Instagram de Baba Lena. A 83 ans, cette mamie russe s’est lancée dans un tour du monde en sac à dos et en solo, et ne manque pas de poster ses péripéties sur le réseau social des milléniaux.
Aujourd’hui, du haut de ses 89 ans, Elena Mikhailovna a visité la Thaïlande, le Vietnam, la Turquie, la République tchèque, l'Allemagne, Israël, et prévoit de se rendre en République dominicaine pour souffler ses 90 bougies.
Début janvier, elle déclarait au média anglais The Independent : « Le voyage c’est une nouvelle vie, des gens, des rencontres. C’est un plaisir d’apprendre autant et d’être aussi bien accueillie. La chose la plus importante que j’ai découverte, c’est qu’il y a énormément de gens formidables dans tous les pays du monde ! Et il n’y a pas de quoi avoir peur : on ne meurt qu’une fois et quoi qu’on fasse, ça finira bien par arriver ».
Un bon coup de pied dans une fourmilière de clichés
Dans son essai titré La Vieillesse (1970), Simone de Beauvoir explique que notre rejet de la vieillesse est
une « condamnation [pour les personnes âgées] à vivre dans un statut qui dépossède l’individu de ses caractéristiques propres pour les remplacer par des stéréotypes ».
Au même titre que certaines minorités raciales ou sexuelles, les personnes âgées souffrent en effet de clichés dégradants, basés sur une généralisation absurde. On caricature les anciens comme des personnes systématiquement faibles, réactionnaires, hermétiques au progrès, radines, égoïstes, voire inutiles.
Jérôme Pellissier, chercheur et docteur en psychogérontologie, explique très justement :
« Chaque personne âgée, comme chaque personne de n’importe quel âge, est très différente des autres. Il y a des personnes hyperactives, généreuses, curieuses, intelligentes, etc., comme il y a des personnes radines, conservatrices, idiotes, etc. Bref, "le temps ne fait rien à l’affaire", comme le chantait si bien Brassens ».
Sauf que cette gérontophobie (aversion, peur des personnes âgées, ndlr) est intégrée par nos sociétés modernes comme un sentiment logique et acceptable. On rejette les vieux comme on rejette la mort, comme s’ils étaient l’incarnation impudique d’un compte à rebours triste et effrayant. Comme si ces "anciens" n’étaient plus des personnes à part entière, mais un concept, un état transitif qui nous rappelle ce qu’on refuse d’accepter.
Un triste état de fait que la nouvelle tendance des super-mamies vient bouleverser.
Les convictions n’ont pas d’âge
A l’image de Baba Lena, d’autres grannies nous rappellent que notre ouverture d’esprit, nos valeurs et nos convictions ne se distillent pas avec les années. Irmela Mensah Schramm, 70 ans passés, en est la preuve vivante.
Derrière ses allures de mamie-gâteaux, cette retraitée allemande est une activiste en guerre contre la haine, une véritable « nettoyeuse politique » comme elle aime se définir. Armée de grattoirs, de dissolvant, de bombes de peinture et de ses petites lunettes rondes, elle élimine tous les tags, stickers et autres dégradations nazies qu’elle croise sur son passage. Un combat de 30 ans, auquel des documentaristes italiens, finnois, allemands et polonais ont dédié un moyen-métrage justement titré The Hate Destroyer.
Dans un autre domaine – mais toujours avec la même ambition de prouver que l’âge, c’est bien dans la tête – voilà deux autres personnalités remarquables qui vont vous donner un sacré coup de vieux.
Des athlètes troisième génération
Johanna Quaas est la gymnaste la plus âgée au monde. En 2012 à 86 ans, cette super-mamie allemande s’inscrit dans le Guinness World Record avec une performance au sol et sur poutre. Aujourd’hui encore, elle est impressionnante de force et d’agilité sur ses barres parallèles.
Täo Porchon-Lynch est elle aussi une super-mamie performeuse. A 98 ans, elle est la yogi la plus âgée au monde. A deux ans du centenaire, Täo se déplace encore seule, en voiture et talons-aiguilles, pour venir animer ses cinq cours de yoga hebdomadaires. Un quotidien incroyable, à l’image de son destin.
Née sur un bateau le 13 août 1918, la petite orpheline est confiée à un oncle à Pondichéry (comptoir colonial français en Inde). A 12 ans, elle rencontre Gandhi et le suit dans sa Marche du sel. Aux prémices de la Deuxième Guerre mondiale, elle se rend en Europe et se réfugie chez une tante dans la vallée du Rhône. Elle y apprend l’œnologie avant d’entrer dans la Résistance.
Manquant de peu de se faire arrêter, elle traverse la Manche où elle dansera dans des cabarets pour des militaires américains. C’est aussi à ce moment qu’elle se lie d’amitié avec Marlène Dietrich. Après la Libération, son retour en France lui vaudra de devenir mannequin pour Lanvin, avant un départ pour Hollywood et le début de sa vie en tant que professeur de yoga, discipline qu’elle pratique depuis son enfance. Son mantra ?
« Ne laissez pas les autres vous dire ce que vous ne pouvez pas faire ».
Un conseil qu’elle applique à elle-même et qui semble fonctionner à merveille.
Elles sont belles nos grands-mères
Tout comme l’intégrité morale ou le bien-être physique, la coquetterie n’est pas chose à enlever aux personnes âgées. Nos grands-mères ont parfois même l’ambition de nous donner quelques conseils en matière de style, comme la très charismatique Baddie Winkle.
Cette it-granny bientôt octogénaire a créé son compte insta avec l’aide de sa petite-fille il y a un peu moins de 3 ans. Aujourd’hui, elle compte 2,8 millions de followers, parmi lesquels Miley Cyrus, Rihanna ou Kim Kardashian.
Un succès fou qui s’explique par les talents de modeuse incontestés de Baddie, son humour (un seul mantra « stealing yo man since 1928 ») et son engagement, notamment pour la légalisation du cannabis.
Côté beauté, voici la mamie pro du contouring. A 80 ans, Glam-Ma émerveille les fans de make-up en postant ses incroyables transformations sur Instagram. Derrière cette idée, encore une petite-fille : Tea Flego.
En voulant faire plaisir à sa grand-mère, la maquilleuse professionnelle a déclenché un raz-de-marée de likes et donné la parole à ces grands-mères qui ont le droit de prendre soin d’elles et de se trouver belles. D'autres mamies se sont d’ailleurs prêtées au jeu avec plaisir.
Ces mamies activistes, globe-trotteuses, gymnastes, yogi ou stars d’Instagram envoient un message positif et inspirant qui change la donne, pour démonter avec justesse les clichés. Loin de l’incarnation d’un quelconque compte à rebours macabre, elles deviennent une source d’espoir et d’enthousiasme inestimable, le symbole d’une jouvence éternelle et d’une volonté de fer.
Car la vieillesse, c’est aussi un nombre de joies, de plaisirs, de découvertes, d’amours et de fous rires incalculables. Un concentré de bonheur comme une réserve de carburant qui anime un corps et une âme bien présents.
Je conclurai cet article sur cette exclamation de Jérôme Pellissier : « Comme si, à 90 ans, on avait forcément envie de passer dix heures par jour dans un fauteuil... Il n'y a pas d'âge pour vivre des aventures ! ».
