Le Daim, une bonne farce dont nous sommes les dindons

undefined 19 juin 2019 undefined 14h52

Louis Haeffner

C'est en bon connard de hipster méga hypé par le nouveau film du génial Dupieux qu'on s'est rendu au cinéma le plus proche pour constater une nouvelle fois l'étendue comique de son génie créateur d'absurde ; mais c'est en bon apprenti critique ciné qu'on peut désormais affirmer que Quentin s'est cette fois bien foutu de notre pomme, et à dessein qui plus est. Le salaud ! 


Georges a 44 ans et vient, manifestement, de se tirer de chez lui après avoir quitté sa femme. Il se rend dans une région perdue et montagneuse pour y faire l'acquisition, à prix d'or, d'un superbe blouson en daim. Sympa, le gars qui lui vend ce vêtement "pas banal" y joint un caméscope numérique. Au bar du coin, Georges rencontre Denise, la serveuse, à qui il fait croire qu'il est réalisateur. Ça tombe bien, elle se passionne pour le montage...

Le Daim film critique

Pour son deuxième film français après l'excellent Au Poste ! l'année dernière, Quentin Dupieux maintient une ambiance un peu rance et décrépite, notamment par le biais de décors et d'accessoires pour le moins vintages. L'Audi que Georges conduit doit dater au bas mot des années 80, son blouson fétiche était à la mode jamais en Iowa dans les 60's (et encore, pas sûr), et le mobilier de l'hôtel dans lequel il séjourne doit dater de son ouverture, à priori sous le régime de Vichy. Or si ces choix esthétiques correspondent à n'en pas douter à une volonté de faire sourire le spectateur, amusé par une tel déploiement de ringardise patentée, ils permettent également d'insuffler un souffle réaliste au métrage ; la fuite en avant vers la folie meurtrière de Georges est, aussi surprenant que cela puisse paraître, rendue crédible par la désuétude de son environnement. 

Le Daim film critique

Cependant, s'il faut souligner le basculement de Dupieux vers le réalisme – alors qu'il nous avait plutôt habitués à donner dans une abstraction bien souvent absurde –, ne reste pas moins que la folie qui prend petit à petit possession de son personnage principal, et dont il semble se faire un devoir de nous montrer le processus, conserve cet aspect risible si propre à son univers. Problème : on ne rigole pas beaucoup et pas souvent, et l'on se demande assez vite où va le film. C'est d'ailleurs la même question que se pose Georges, pris à son propre jeu par une très enthousiaste Denise, et qui le pousse, quelque part, à accomplir son destin de cinéaste fou.

Le Daim film critique

On comprend alors, aussi grâce aux nombreux indices donnés par les personnages (Georges : « c'est vrai que c'est génial d'être payé pour faire ça » ; Denise : « il me faut plus d'images, pour faire un trailer et obtenir des financements »), que Georges, c'est Dupieux : un type barré qui a tripé sur un blouson en daim et qui a décidé d'en faire un film, sans trop savoir où ça allait le mener, mais qui, grâce à un charisme et un minimum de talent pour la manipulation, y parvient. 

Le Daim film critique


Il faut donc regarder Le Daim comme une œuvre pied-de-nez, une mise en abîme à l'esthétique ringarde remplie d'un cynisme drôlatique. Portant un regard amusé sur sa propre œuvre et la naïveté des critiques et du public, c'est la première fois que Quentin Dupieux nous la fait si ouvertement à l'envers. Mais comment lui en vouloir ?