Dans le couloir qui m'amène à l'extérieur de la salle de cinéma, j'ai un vague sourire aux lèvres en pensant au sable qui crisse sous mes pieds et à l'odeur du monoï. J'ouvre la porte sur le bassin de la Villette : il pleut, il fait gris, quelques vieux déambulent, les épaules basses. Je peux retourner voir le film s'il vous plaît ? Merci.
Amin a la vingtaine, il vit à Paris où il écrit des scénarios et fait de la photographie. Il revient passer l'été à Sète, sa ville natale, où ses parents tiennent un restaurant de spécialités tunisiennes. Il y retrouve sa meilleure amie Ophélie et son cousin Tony, ainsi que tous leurs amis d'enfance. Leur quotidien est rythmé par les rencontres, les journées à la plage, les sorties en boîte, bref, la vie oisive qu'on mène en vacances, l'été, au bord de la mer.
Le scénario du film tient donc en quatre phrases, le temps d'installer le décor et les personnages. Ensuite, il s'agit simplement de les regarder évoluer sous le soleil de Saint-Tropez sétois, leur jeunesse faisant le reste. À l'opposé de réalisateurs qui définissent leur cinéma par un storyboard savamment préparé, un montage précis, des mouvements de caméra étudiés et des plans millimétrés, Kechiche a l'art de faire oublier sa caméra. Tout est filmé à la première personne, sous une lumière naturelle, à travers de (souvent) très longs plans-séquences qui placent le spectateur dans le même espace-temps que les personnages. On a plus l'impression de vivre parmi nos héros que d'être de distants spectateurs, et l'on regarde ces corps superbes, jeunes et bronzés se mouvoir avec grâce et naturel, discrètement caché derrière nos lunettes de soleil.
C'est un souvenir de vacances que le réalisateur palmé nous offre, quelque chose de lent, de lascif, d'éblouissant, d'un peu obscène, d'éminemment naturaliste. Certains diront qu'on s'ennuie, qu'il ne se passe rien. Mais ce que Kechiche filme là, c'est simple, c'est l'été, les vacances, les amis. Tout se passe devant nous, tout se contemple, se dévore du regard. On ne veut en laisser aucune miette. Ce sont des hanches qui ondoient, des éclats de voix, l'innocence de la jeunesse, l'infinité du désir qu'elle charie mais aussi son irrépressible besoin de toucher, de goûter, de sentir. Ce sont des sensations et des sentiments, des sons et des couleurs, un air qui reste dans la tête. Ainsi va la vie, "Mektoub" comme on dit.
Cinq ans après La Vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche revient avec ce qu'il sait faire de mieux. En s'effaçant avec une impressionnante maestria, il offre un premier "chant" superbe, une ode à la jeunesse et à l'été où la célébration du corps se fait sous l'œil complice et révélateur de la nature. Un premier baiser, chaud et humide, sur la plage.