Il y a dans l’œuvre d’Artemisia Gentileschi le parfum de la colère, la rage et la théâtralité du Caravage. Pourtant, bien que sans doute influencée par l'œuvre du maître du clair-obscur contemporain de son père, Orazio Gentileschi, la Romaine n’aura eu de cesse de chercher sa propre technique, son propre talent, se détachant des hommes qui l’entourent. En résultent des toiles uniques, dans lesquelles la peintre saisit avec une sensibilité inédite la psychologie de ses personnages et les affres de l’âme humaine.
Un destin artistique majeur fondé sur une tragédie
Pour comprendre toute la profondeur et l’étendue du talent d’Artemisia Gentileschi, il faut remonter au tout début de sa jeune carrière. Âgée de 17 ans, et seulement un an à peine après avoir signé sa première peinture, la jeune femme est violée par un peintre ami de son père. Celui-ci ayant refusé de l’épouser (ce qui l’aurait, à l’époque, légalement disculpé), s'ensuit un procès d’une violence sans nom, pendant lequel l’artiste sera soumise à la torture, pour vérifier la véracité de ses propos. Et si elle finit par obtenir gain de cause, la sentence appliquée à son bourreau ne sera, elle, jamais vraiment respectée.
Voir cette publication sur Instagram
Suite à cette expérience à la brutalité sans limite, Artemisia Gentileschi renaît de ses cendres grâce à la peinture, et exorcise alors sa soif de vengeance dans des œuvres sombres, sanglantes et dramatiques, créant un ensemble de toiles d’une intensité bouleversante, à la frontière entre le sang, le pardon et la lumière. En témoigne le tableau Judith décapitant Holopherne, l'un de ses plus célèbres, dans lequel elle prête ses traits à Judith et ceux de son agresseur à Holopherne, dans une tentative de revanche cathartique.
Une œuvre déjà féministe
Pourtant, bien plus que la rage ou la violence, c’est la puissance et la force qui ressortent des travaux d’Artemisia Gentileschi. En déclarant en quelque sorte la guerre aux hommes, elle n’aura de cesse de mettre en scène des figures féminines victorieuses, héroïnes érotiques en pleine possession de leurs moyens. En témoignent ces nombreuses représentations de femmes nues, sujet peu fréquent pour une artiste femme à l’époque. Bien loin de l’image de la peintre rangée et vertueuse, elle n’aura de cesse de s’élever contre les diktats de son époque.
Artemisia Gentileschi, Suzanne et les vieillards, 1610, Huile sur toile, 170 x 119 cm, Pommersfelden, Kunstsammlungen Graf von Schönborn © akg-images / MPortfolio / Electa
Une ode à la femme qu’elle pousse parfois à son paroxysme, notamment dans son rapport à l’amour et à la mort, Éros et Thanatos. Elle n’hésite pas à donner à ses héroïnes, souvent inspirées de l’histoire sainte ou de la mythologie, une forme d’érotisme morbide. Et si elle fait souvent état d’une certaine supériorité féminine, elle se démarque aussi grâce à des portraits souvent inconnus du public, et pourtant loués par ses contemporains, qui participèrent sans aucun doute à son succès.
Une artiste multiple
C’est donc toutes ces facettes de la personnalité et de l’art de la peintre que le musée Jacquemart-André souhaite mettre en avant avec cette rétrospective d’envergure. Au fil des salles, toute l’étendue de la palette d’Artemisia Gentileschi se dévoile, grâce à une collection unique d'œuvres dont certaines seront exposées au grand public pour la première fois. L’occasion de plonger dans le travail, l’intimité et l’histoire hors du commun de celle qui fut célébrée par Jérôme David comme « miracle dans la peinture », et de profiter de l’exceptionnel héritage qu’elle laisse à la postérité. Une exposition audacieuse, puissante et bouleversante, à l’image de celle qui, farouchement indépendante, n’aura eu de cesse de tracer son propre chemin à grands coups de toiles éblouissantes.
Artemisia Gentileschi, Yaël et Siséra, 1620, Huile sur toile, 93 x 128 cm © Budapest, Szépművészeti Múzeum / Museum of Fine Arts Photograph Szépművészeti Múzeum/ Museum of Fine Arts, Budapest, 2025
Artémisia. Héroïne de l’art
Musée Jacquemart André
158, boulevard Haussmann – 8e
Du 19 mars au 3 août 2025
Plus d’infos