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Beate et Serge Klarsfeld : l\'expo symbole d\'une génération

undefined undefined 18 janvier 2018 undefined 17h30

undefined undefined 22 janvier 2018 undefined 10h46

Cyrielle

Tout démarre par une gifle. On est en 1968 et Beate Klarsfeld en colle une bonne à Kiesinger, ancien nazi et chancelier allemand de l'époque. L'histoire durera 50 ans et transformera le regard du monde entier sur le nazisme et le génocide des Juifs en Allemagne. Bienvenue dans le monde des époux Klarsfeld, les guérilleros de la mémoire, qui ont traqué toute leur vie les génocidaires nazis et dont une riche rétrospective au Mémorial de la Shoah retrace la passionnante histoire.


Avant de dérouler le propos de cette expo, une belle claque, il faut que je vous avoue quelque chose. Je n'avais jamais mis les pieds au Mémorial de la Shoah auparavant. Je n'avais jamais remarqué l'impressionnant checkpoint du 17, rue Geoffroy-l'Asnier dans le 4e, où l'on entre comme dans un aéroport ou une banque. En passant un check-in, en vidant ses poches, en franchissant non pas un mais deux sas, avant d'accéder à la cour intérieure et de faire face à ses murs. Le Mur des Noms, taillé directement dans des pierres provenant de Jérusalem et qui nous jette au visage les noms et prénoms des 76 000 Juifs déportés de France (Juifs français ou étrangers), dont 11 400 enfants. Une gifle assenée dès l'entrée, comme un préambule qui nous raconte une autre histoire que celle d'une simple exposition, dans un lieu qui abrite à la fois un musée - essentiellement consacré à la Shoah -, plusieurs lieux de mémoire et le Centre de documentation juive contemporaine. 

Après quelques minutes d'attente, je rencontre le commissaire de l'exposition Olivier Lalieu, historien, responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projets externes, qui me conduit au sous-sol. La première salle se dévoile, tout en longueur, où s’entremêlent de très nombreux documents inédits extraits des archives de la famille Klarsfeld, des documents personnels, des photos ou vidéos, mais aussi quelques objets et vêtements car « il fallait donner corps aux Klarsfeld, les incarner » nous dit le commissaire. 

Photo du couple le jour de leur mariage, 1963. © Coll. Klarsfeld


D'une mémoire à l'autre

Dans cette salle, on fait un véritable saut dans le temps, qui nous fait remonter à une époque où la mémoire du génocide n’était pas encore celle que l’on connaît aujourd’hui. « Dans les années 50 ou 60, c'est une mémoire communautaire, celle des victimes ou des familles de disparus », précise Olivier Lalieu. Officiellement, la question est peu traitée par les historiens, et politiquement, elle occupe une place tout à fait secondaire. Les héros de la guerre sont alors les anciens résistants, les anciens combattants, mais les victimes juives, les victimes de la persécution, n'existent pas ou peu dans l'opinion publique.

« En France ou en Allemagne, de nombreux anciens nazis ont retrouvé une position de notable dans la société. Les principaux responsables nazis allemands de la solution finale en France sont devenus des maires, bourg-mestres, des avocats, des notaires, ils ont retrouvé une bonne situation. A l'image en France de René Bousquet, qui était ministre de l'Intérieur et secrétaire général de la police sous Vichy en 1942, négociateur pour les responsables nazis des rafles et des déportations cette année-là, et qui a été jugé avec beaucoup de mansuétude après-guerre et a pu redevenir banquier. »

Dîner de gala des lauréats de la Bourse Zellidja. Paris, 1955. © Coll. Klarsfeld

En d’autres termes, l'épuration était passée mais avait laissé glisser entre les mailles du filet un certain nombre de ces grandes figures de la persécution juive. Et c'est cette injustice qui est apparue comme un véritable scandale aux yeux des Klarsfeld. 

« Ce qui va changer, c'est que leur combat va à la fois revenir sur l'impunité dont bénéficient un certain nombre de criminels nazis, mais aussi faire admettre que ces victimes de ce qu'on appelle la Shoah aujourd'hui n'étaient pas des victimes secondaires ou accessoires ; que ce qui avait été à l'œuvre à travers le génocide des nazis n'était pas "un point de détail" pour reprendre le propos scandaleux de l'extrême droite en France, mais un des principaux aspects de cette Seconde Guerre mondiale. »


Le coup de foudre

L'Allemagne, la France, l'Europe à la fin des années 60/70, la génération 68, les Beattles... C'est dans ce contexte d'intense bouillonnement culturel et intellectuel qu'est mise en perspective l'épopée d'un homme, d'une femme et d'un couple. Celle d'un jeune orphelin dont le père est mort assassiné à Auschwitz et d'une jeune femme allemande dont le père était un soldat de la Wehrmacht qui vont se rencontrer sur un quai de métro en 1960 Porte de Saint-Cloud, qui vont tomber follement amoureux et engager ensemble un certain nombre de combats contre l'antisémitisme, l'impunité, mais également pour la reconnaissance de la mémoire de la Shoah.

« Ils ont été les artisans de la reconnaissance de l'importance de la mémoire de la Shoah », insiste Olivier Lalieu. 

Une des spécificités de l'expo, c'est de nous faire rencontrer ce caractère aventureux de l'un et l'autre. Beate était en révolte contre cette culture allemande où la place de la femme se cantonnait à s'occuper des enfants, faire la cuisine et aller à l'église. Elle s'est élevée contre ça et est partie dès sa majorité à Paris comme jeune fille au pair, contre l'avis de ses parents. D'autres documents inédits nous racontent comment Serge, dès les années 50 alors qu'il était âgé d'une vingtaine d'années, a traversé l'Europe un sac sur le dos.

Serge au Parthénon. Athènes, Grèce, 1954. © Coll. Klarsfeld


La traque des nazis

Rapidement, on croise une des tenues de Serge, avec laquelle il partit d'abord sur les traces de son père décédé à Auschwitz en 1965, puis sur celle d'un grand criminel nazi en 1971. On découvre aussi les chaînes avec lesquelles Beate s'est enchaînées sur un banc à La Paz en Bolivie, devant le domicile de Klaus Barbie, pour dénoncer son impunité. Sur les images, on voit aussi le couple et leurs soutiens interpellés, placés en prison et molestés par la police.

Pour Olivier Lalieu, il s'agit de « montrer la violence que les autorités ont opposé à leur action ». 

Au milieu de toutes ces archives, c'est le combat d'un noyau de militants qui revit. On écoute avec attention ces militants qui ont suivi et accompagné le couple Klarsfeld raconter les motivations profondes de leur action et ce qu'a représenté le couple pour eux. 

25 juin 1971 : Manifestation à Essen contre le maintien d’Ernst Achenbach, porte-parole du parti FDP au Bundestag, conduite par Beate et des jeunes de la LICA qui occupent son bureau. © Coll. Klarsfeld

Mais finalement, le cœur de l'exposition s'attache à une seule décennie, de 68 à 78. « Elle correspond à cette année 2018 qui est marquée à la fois par le 50e anniversaire de la gifle administrée par Beate, en novembre 1968, au chancelier Kiesinger, et au 40e anniversaire de la publication du Mémorial de la déportation de France par Serge Klarsfeld qui restituait pour la première fois l'identité des victimes de la Shoah en France, avec leur nom et prénom », explique Olivier Lalieu. Une période fondatrice et pionnière dans leur action, d'une intensité remarquable, qui s'achève par l'évocation du procès de Cologne (1979-1980) au cours duquel Hagel, Grichka et Erickson, les principales figures de la persécution des Juifs, ont été, au terme de 10 ans de combat, traduits enfin devant la justice allemande et condamnés. 

Le plus bluffant ? Chacune des actions du couple s'appuie sur des recherches fouillées, voire sur des ouvrages entiers, qui jalonnent cette exposition, et est portée par une véritable vision politique

Beate pose avec son livre, 1964. © Coll. Klarsfeld


La reconnaissance et l'universalisme

Pour les passionnés, il faudra pousser jusqu'au troisième niveau, au 4e étage, pour découvrir les combats menés de 1980 à nos jours, qui se développent sur d'autres continents. L'heure de la reconnaissance a sonné. Serge et Beate Klarsfeld sont nommés ambassadeurs honoraires de l'Unesco et envoyés spéciaux de la mémoire de l'Holocauste et pour la prévention du génocide.  

Au-delà de la préservation de la mémoire de la Shoah, leur action a une dimension universaliste. On les a vus aller s'opposer à la police pour dénoncer le traitement réservé aux Roms en Allemagne dans les années 1970. Serge s'est rendu en Bosnie-Herzégovine pour dénoncer les persécutions commises par les Serbes et les Croates contre les Musulmans. Dans le cadre de sa mission pour l'ONU, Beate s'est également déplacée au Burundi pour dénoncer les exactions commises et les signes avant-coureurs d'un génocide possible. Cet engagement contre l'antisémitisme mais aussi contre le racisme et pour la défense des droits de l'homme, sont autant de combats dans lesquels ils se sont illustrés.

Serge est élevé au grade de Grand officier de la Légion d’honneur et Beate à celui de Commandeur de la Légion d’honneur par le président de la République, François Hollande, le 20 juillet 2014 © DR

Et si vous vous demandez encore pourquoi il faut aller découvrir cette exposition et ce lieu hors du commun, on vous laisse méditer sur cette phrase d'Olivier Lalieu : « Cette mémoire est à défendre en permanence car elle est sans cesse contestée, bafouée, reniée, et même moquée par de pseudo-comiques ou par des hommes politiques ». Le combat de la mémoire est donc entre nos mains désormais. 

La gifle au chancelier Kiesinger. Berlin, 7 novembre 1968 © Coll. Klarsfeld


Mémorial de la Shoah

17, rue Geoffroy–l’Asnier - 4e
Tél. : 01 42 77 44 72
Métro : Saint-Paul ou Hôtel-de-Ville

Ouvert de 10h à 18h
Tous les jours, sauf le samedi / nocturne jusqu’à 22h le jeudi
Entrée libre et gratuite