Depuis la nuit des temps, la fascination suscitée par les tueurs en série est un phénomène qui inspire nombre de contenus largement visionnés par le grand public, et interroge par son paradoxe. Nombre d’individus absolument sains d’esprit se biberonnent à Crimes sur NRJ12, dévorent depuis 2022 la série d’anthologie de Ryan Murphy sur Netflix, dont Dahmer a dépassé le milliard d'heures visionnées, lancent Jack l’éventreur comme s’il s’agissait de Blanche-Neige ; le crime horrifie, mais hypnotise, et fait du chiffre.
Si ces programmes inondent les chaînes et, depuis peu, les plateformes, il est néanmoins rare qu’un événement physique se consacre entièrement aux rockstars du crime. On préfère garder les yeux fermés, ou les ouvrir derrière un écran, de manière à garder une certaine distance. De cette distance, il ne reste néanmoins rien lorsque l’on pénètre l’exposition Serial Killer. Sur plus de 2 000 m2, dans un immense entrepôt des Galeries Montparnasse, il est donné à apprendre sur les plus grands tueurs et tueuses de notre histoire, mais aussi à voir. Et c’est précisément cette dimension-là qui dérange.
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Une large collection d’objets ayant appartenu aux tueurs
À l’entrée de la visite presse, on nous prévient d’emblée : le parcours peut aussi bien durer 1h que 4h. Ce qui nous attend : 35 (!!) salles au cœur de l’horreur. Alors on boit de l’eau, on met nos aprioris de côté, et on avance, il n’y a pas de temps à perdre. Le premier couloir, seulement éclairé d’une lumière rouge à peine menaçante, annonce la couleur : voici, Mesdames et Messieurs, la coccinelle conduite par Ted Bundy lorsqu'il capturait ses victimes.
C’est d’ailleurs la grande exclusivité de l’exposition : montrer pour la première fois au grand public des objets ayant véritablement appartenu aux tueurs en série. Les dessins de Moses Sithole, "l’éventreur du Yorkshire", les empreintes digitales d’Ed Gein, le "boucher fou", mais aussi les armes du crime, les outils de torture… Longtemps conservées dans des tiroirs fermés à double tour, découvrir ces pièces à conviction, avec toute l’histoire atroce qu'elles renferment, est la grande richesse de Serial Killer. Cette large collection (plus d’une centaine d’objets) aurait pu constituer sa principale plus-value. Malheureusement, le vice est poussé plus loin.
l'Expo Serial Killer qui ouvre à Montparnasse est impressionnante pic.twitter.com/UOdEkQjqHm
— Tom de Smallthings 🔽🍿 (@SmallThingsFr) February 20, 2025
Des reconstitutions écœurantes
Si elle était un bouquin, la première salle de l’exposition s’appellerait Les Serial Killer pour les nuls. Des posters de vulgarisation (très cheap) nous apprennent les origines de l’expression, les typologies de tueurs, déconstruisent les préjugés liés aux profils psychologiques… Ça paraît dense, et ça l’est, mais c’est finalement très utile pour appréhender la suite.
Ce qui est moins utile, et presque tordu, toutefois, ce sont les reconstitutions de scènes de crime qui ponctuent toute l’exposition. Chaque salle est consacrée soit à une catégorie de tueurs, soit à un célèbre meutrier : dès le début du parcours, dans l'espace dédié à Jack l'Éventreur, on s’émeut de découvrir sans aucun trigger warning l’exacte chambre dans laquelle a été assassinée l’une de ses victimes. Et son corps en cire, couvert de coups de couteau, et de sang. L’exposition ne résiste pas à tomber dans le sensationnalisme, et donne ainsi gratuitement la nausée à de multiples reprises. Avions-nous vraiment besoin de voir l’intérieur du frigo de Jeffrey Dahmer ? Seule la musique de fond, triste héritière du générique de Faites entrer l’accusé, nous sort ponctuellement de notre torpeur.
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Indigestion
En plus de vouloir choquer, Serial Killer tente, à notre grand dam, d’être le plus exhaustif possible. Salles à rallonge, audioguides caricaturaux, posters illisibles et trop nombreux : les fiches de personnalité des tueurs, qui détaillent le nombre, la période, la méthode des crimes ou encore la peine prononcée, finissent par toutes se ressembler, enlevant à chaque affaire sa singularité, et de fait, son caractère tragique. Les victimes sont les grandes oubliées du parcours, uniquement représentées par des chiffres et des photos glaçantes. Pire : on peut se mettre dans leur peau à travers une expérience de réalité virtuelle. Et ce n’est pas la dernière salle leur dédiant l’exposition avec un court paragraphe qui corrige le tir. Serial Killer ne fait finalement qu’entretenir, voire encourager grossièrement le culte voué aux tueurs en série.
Serial Killer – The Exhibition
Galeries Montparnasse
22, rue du Départ – 15e
À partir du 21 février 2025
Du mercredi au dimanche, de 10h à 18h
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