En 2016, après avoir enchainé deux tours du monde à la rencontre des cuisines du monde entier, Marine et Louis décident de lancer le Refugee Festival Food : un évènement qui permet aux restaurants de prêter leurs fourneaux à des chefs exilés. Et désormais, le concept s’implante de façon pérenne au Ground Control, pour notre plus grand plaisir.
Fort du succès du Refugee Food Festival, La Résidence vient d'ouvrir ses portes au Ground Control. Ce restaurant permanent va accueillir des chefs exilés pour les former et les accompagner dans leurs projets culinaires. Après une campagne de crowdfunding, ils ont récolté 12 000€ pour acheter des produits alimentaires, équiper les cuisines et aménager le lieu. Derrière ses fourneaux, l'équipe est fin prête à offrir un tour du monde à vos papilles. On est allé jeter un œil du côté de ce véritable laboratoire des sens et on a rencontré les acteurs de ce beau projet solidaire.
« On voulait créer un point de contact entre les Parisiens et les réfugiés à travers la cuisine. »
Louis Martin et Marine Mandrila, les fondateurs de Refugee Food Festival et de La Résidence
De gauche à droite, Nabil Attar, Marine Mandrila, Mohammad El Khaldy et Louis Martin devant la Résidence au Ground Control © Camille Hispard
Comment est né le projet Refugee Food Festival ?
Après deux tours du monde à rencontrer des gens autour de la cuisine, à partager nos cultures, on est rentré en France et on a trouvé que les messages dans les médias autour des exilés étaient très misérabilistes, anxiogènes. Alors que ce sont des gens comme nous. On voulait créer un point de contact entre les Parisiens et les réfugiés à travers la cuisine. L'idée, c'était de valoriser leurs talents. On a créé Refugee Food Festival en 2016. 11 restos parisiens ont prêté leurs cuisines à des chefs exilés le temps du festival. Ça a été un immense succès. Derrière, des chefs ont eu des opportunités d'embauche, ils ont pu proposer des services de traiteur par exemple. Ensuite, on a voulu l'étendre à plusieurs villes et on a créé une sorte de méthodologie pour leur permettre d'organiser l'évènement. 13 villes européennes ont rejoint le mouvement. Le HCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés), notamment en la personne de Céline Schmitt la porte-parole France, nous a beaucoup soutenu depuis les débuts de l'aventure, en apportant son expertise. Pour le prochain Refugee Food Festival en juin, qui se tiendra bien sûr à Paris, le berceau du projet, certains villes des Etats-Unis ainsi que du Canada participeront à l'opération. On voulait vraiment changer le regard sur les réfugiés mais aussi les accompagner sur le long terme ; c'est comme ça qu'est née La Résidence.
Comment fonctionne La Résidence ?
Mohammad El Khaldy, un grand chef syrien très connu à Damas, va encadrer et former les chefs en exil invités au fur et à mesure. Ils vont pouvoir tester leurs plats, gérer une équipe, se familiariser avec la logistique. Tous les 2 à 6 mois, un nouveau chef sera aux fourneaux. Il y a aura une carte de base et des plats signature. Le but c'est de découvrir des spécialités, des cultures du monde entier. Il y a aura des chefs afghans, érythréens, syriens, iraniens et beaucoup d'autres. Stéphane Jégo, chef de l'Ami Jean, qui va aussi accompagner tous les chefs en résidence, nous a beaucoup aidé dans la création de ce lieu.
Quel est le but de ce lieu ?
On voulait vraiment accompagner les chefs jusqu'au bout, comme une résidence d'artiste. Le but, c'est qu'ils viennent avec l'envie de créer leur restaurant ou de se lancer dans une activité de traiteur et qu'on les aide à construire leur projet. Les aider à trouver leurs partenaires financiers, à consolider leur concept, etc. On voulait que ce soit le plus concret possible. Pour l'ouverture, c'est l'excellent chef syrien Nabil Attar qui sera en résidence. Il va d'ailleurs ouvrir son propre restaurant à Orléans dans quelques mois...
« La cuisine, c'est comme la musique, on peut communiquer sans la langue. »
Nabil Attar, premier chef invité à La Résidence
Comment avez-vous connu Refugee Food Festival ?
Avant dans mon pays, j'étais banquier, et puis j'ai dû fuir la Syrie à cause de la guerre. Quand je suis arrivé en France en 2015 avec ma femme et mes deux enfants, au début c'était très dur. Je ne parlais pas français et l'une des façons les plus simples de communiquer pour moi, c'était de cuisiner. J'ai commencé à faire des plats à ma voisine, mon médecin, mon avocat. Et puis ils ont aimé. J'ai toujours aimé cuisiner. La cuisine, c'est comme la musique, on peut communiquer sans la langue. Petit à petit j'ai corrigé mes plats, notamment la présentation parce que pour les Français les yeux mangent autant que la palais, il faut que ce soit un peu joli. Un jour, sur internet, j'ai découvert Refugee Food Festival et je les ai contactés. J'ai pu cuisiner dans le restaurant Inaro à République qui est un bar à charcuterie et à fromage et il se trouve que c'est ma spécialité (Nabil fait sa propre charcuterie ainsi que son fromage, ndlr) ; j'ai aussi cuisiné dans un restaurant à Pantin. Ça m'a beaucoup apporté, sans Refugee food Festival, je n'aurais pas fait tout ça.
Qu'est-ce que ça représente pour vous ?
Grâce à eux ensuite, j'ai pu lancer une activité de traiteur et m'exprimer surtout, créer des plats, me faire connaître. Quand tu arrives dans un pays ce n'est pas évident mais maintenant tout va bien. J'habite un pavillon avec ma famille, je vais lancer mon restaurant à Orléans et les gens en parlent, c'est super. Je suis heureux de faire découvrir les spécialités syriennes. Une fois, un ami m'a raconté que quand il a lancé son restaurant syrien en France, il a dit que c'était un restaurant libanais parce que c'était plus connu ici. C'est dommage. Je suis content de leur faire découvrir les mezzés de chez nous, le caviar d'aubergines, les épices typiques qui accompagnent les plats comme le cumin, la muscade, la cardamone, le sésame... c'est un vrai plaisir. Dans mon restaurant, je servirai le fromage que je fabrique qui ressemble un peu à du camembert et ma propre charcuterie. Tout est allé très vite, c'est incroyable.
« On veut montrer qu'on est talentueux, qu'on a des compétences, qu'on est venus ici pour construire. »
Mohammad El Khaldy, chef permanent et formateur à La Résidence
Qu'est-ce que ça vous fait de former tous ces chefs ?
C'est vraiment excitant de faire ça, d'aider les autres. Je leur apporte une formation technique. Quand on arrive en France, ce n'est pas évident, il y a la barrière du langage. Le langage de la cuisine est facile, quand tu goûtes, tu as compris ce que voulait dire l'autre. Je donne tout dans ma cuisine.
Quel message véhicule La Résidence ?
On veut montrer qu'on est talentueux, qu'on a des compétences, qu'on est venus ici pour construire. Je n'ai pas choisi de prendre un bateau, de traverser toute l'Europe pour venir vivre ici. Il m'est arrivé quelque chose : la guerre. C'était vraiment dur. Avec Refugee Food Festival, ma vie a changé à 360 degrés. J'ai trouvé mon rêve. J'ai eu beaucoup de chance. On a pu cuisiner pour Anne Hidalgo, on était aussi à la Fashion Week, c'est exceptionnel. Je suis très fier d'être le chef référent de La Résidence.
Pour déguster du musabaha (houmous), du moutabal (caviar d'aubergines) ou un bon riz au lait, foncez à La Résidence au Ground Control. Il y a de l'humanité à savourer, accompagnée de spécialités du monde entier. Et si pour le moment, les cuisines ne permettent pas encore de servir des plats chauds, dès mars, ce sera le cas !
La Résidence au Ground Control
81, rue du Charolais - 12e