dsc-5654-studioletiquette

Juliette Armanet : « Je suis comme aimantée, fascinée par le feu »

undefined undefined 22 novembre 2021 undefined 17h15

undefined undefined 22 novembre 2021 undefined 18h19

Sarah Leris

Brûler le feu est un disque très sensuel et plein de désir. C’est ton thème préféré, le désir ?

En tout cas ce qui est sûr, c’est que c’est un disque plus brûlant. Ce n’est pas pour rien qu’il s’appelle ainsi, c’est qu’il déploie vraiment toutes les couleurs du feu, de la passion, il y a de la peau, de la transpiration, du sexe, de l’obsession, du danger… C’est un disque très physique.

Il s’est passé 4 ans depuis ton dernier album. Quoi de neuf ?

On a l’habitude que les choses aillent vite mais je trouve que c’est bien de mettre du temps à faire un album. Parce qu’après tu passes 5 ans de ta vie avec, le temps de le jouer, de le défendre, il faut vraiment être sûr de son coup et sûr de ce que tu avais à dire. Je suis pour la lenteur, je ne fais pas du rap, je ne suis pas là pour sortir un single à la Jul tous les 3 jours, c’est pas mon game, je ne suis pas comme ça. J’ai un rapport old school à la question de la création, le fait de délivrer un disque est quelque chose d’un peu sacré pour moi. J’aime bien l’idée que ce soit lent, qu’on puisse avoir eu le temps de se perdre, d’essayer, de s’aventurer, de se planter, de refaire… C’est important et même militant de ne pas se jeter dans la panique pour ne pas être oublié, tout comme ce réflexe de poster sur les réseaux toutes les deux heures pour exister. Il faut faire confiance à son public et à son art. Je ne suis pas un produit jetable.

Tu as l’impression d’être tombée dans ce piège des réseaux sociaux toi aussi ?

Comment faire autrement ? C’est devenu un moyen de parler de mon travail. C’est devenu difficile de pouvoir s’imposer dans le paysage musical donc je ne vais pas renoncer à un moyen de faire connaître ma musique aux gens. Après je trouve que ce que ça engendre entre musiciens, entre artistes, de se regarder, peut parfois être lourd à porter.

« La scène, c’est ma bulle de confiance »

Il y a pourtant une belle sororité qui s’est développée.

Bien sûr, de plus en plus, et c’est le côté positif de tout ça : on peut se parler, s’écrire, s’envoyer des mots et du soutien entre artistes. Mais ce réflexe de devoir mettre en scène sa vie artistique demande énormément de taff, et pour moi ce n’est pas très naturel de me filmer en train de faire les choses. Il y a des gens pour qui c’est facile, moi pas du tout.

Tu parles de la difficulté de se démarquer mais ton 1er album t’a offert une belle place dans la scène musicale francophone. Est-ce que ça engendre une pression plus forte à l’heure du deuxième disque ? Ou te sens-tu plus en confiance ?

Je pensais que le fait d’avoir accompli quelque chose allait me donner de la patate, de la puissance, de l’assise, mais pas du tout. Au contraire, il peut presque y avoir quelque chose où on se sent parfois fragilisée par le succès, qui fige quelque chose et peut faire peur. C’est pour ça que j’aime la scène, parce qu’il n’y a plus d’Instagram, de journalistes ou de jugement, il y a juste des gens qui aiment ma musique et qui sont venus parce qu’ils avaient envie d’être là, et moi j’ai envie d’être là pour eux alors je me sens en confiance. La scène, c’est ma bulle de confiance.

Raconte moi la genèse de l’album. Comment est-il né ?

Je ne voulais pas recycler des chansons que j’avais dans les tiroirs, j’avais en tête de repartir à zéro, me jeter dans le vide avec une page blanche, un carnet, un stylo et un clavier. Voir qui j’étais devenue, me donner un rendez-vous avec moi-même, après toute cette tournée, cette rencontre avec le public, après toute cette folie, après avoir eu un enfant. Et quel luxe de pouvoir me poser cette question : Qui suis-je ?! Je suis alors partie à Trouville en Normandie où j’ai loué une maison avec mon fils et sa nounou, je me suis posée avec un clavier, j’avais un petit studio au 2e étage d’où je voyais la mer et l’horizon tous les jours. J’y suis restée 2 mois et demi et j’ai composé tout le disque. J’avais vraiment besoin de sortir de Paris, de faire travailler mon imaginaire et de laisser mes connexions avec les gens derrière moi. La première chanson que j’ai écrite c’est « Boum Boum Baby ». J’ai un souvenir trop beau d’un coucher de soleil avec la lumière qui irradiait le studio, avec la musique à fond, moi qui me suis mise à danser, à avoir chaud, et je me revois me dire « ça y est, c’est le début de mon disque ».

Cette danse que l’on retrouve dans tout l’album, dont dans ton premier clip « Le dernier jour du disco », était donc là depuis le début.

Je suis hyper pratique à emmener en soirée : tu me poses sur une piste de danse, tu me donnes à boire et tu reviens me chercher 5 heures plus tard. La danse est vraiment thérapeutique pour moi, j’ai toujours été hyper sportive, je faisais du patinage artistique au lycée, j’ai besoin d’énergie. Dans le clip, c’est un peu maladroit et pas vraiment chorégraphié, mais j’avais envie de faire passer cette énergie par le corps et rappeler cette tournée passée à transmettre ma musique en dansant. Parce que je ne suis pas que la femme assise au piano, langoureuse, le regard perdu dans l’horizon à rêver d’un amour perdu, je suis aussi quelqu’un d’hyper énergique, active, physique.

Est-ce que tu as remarqué le nombre d’albums dansants et joyeux qui paraissent en ce moment car écrits pendant le confinement ?

J’adore, c’est beau de se dire que finalement notre réflexe de survie a été d’aller chercher de la joie et du plaisir. Ça montre que finalement on n’a pas été avalé par tout ça, il y a une force humaine de résistance et de résilience très forte dans les épreuves, on a envie d’aller chercher la lumière. Ça raconte un truc fort sur l’humain. Personnellement j’ai eu la chance de ne pas être fauchée en plein vol, je n’ai pas sorti un disque qui s’est écroulé au moment où le covid est arrivé comme c’est arrivé à quelques-uns de mes amis. Donc c’était une introspection forcée, certes, mais c’est resté une bonne introspection. Après oui, on est tous devenus alcooliques, et comme on s’est tous mis à boire de manière non raisonnée et à écouter de la musique hyper fort et hyper dansante, donc ça a du influer sur nos esprits quelque part.

« Je suis comme aimantée, fascinée par le feu qui fait peur autant qu’il happe »

« Le dernier jour du disco » est le 1er titre de l’album. En quoi influence-t-il le reste ?

Pour moi c’était évident que c’était celui-ci le 1er, parce qu’il y avait cette longue intro au piano qui replantait le décor, qui amenait un côté dramatique, fin du monde, opéra… Et d’un seul coup, avec la batterie qui rentre, tous ces refrains qui s’ouvrent et qui sont beaucoup plus lumineux, on tirait le fil vers quelque chose de plus solaire, plus résilient. C’est une bonne manière de raconter l’album qui oscille entre des moments de fête, de partition solaire, de lâcher de chevaux et d’italo-disco avec en même temps des moments d’introspection, de balade, plus abîmés, plus intimes. Il réunit bien les climats du disque.

Pourquoi Brûler le feu ?

J’ai des carnets de mots sur lesquels je note plein d’expressions que je sors de leur contexte, quand les gens me parlent ou que je lis un livre. J’avais ce « brûler le feu rouge » dans un carnet, qui venait d’un texto qu’une copine m’avait envoyé et qui disait quelque chose comme « t’inquiète ce soir je vais t’emmener, on va brûler les feux rouges sur le boulevard Magenta ». Ensuite, au fur et à mesure de l’écriture du disque, je me suis rendue compte que dans tous les textes de l’album il y avait des flammes, des briquets, du rouge, des brulures, de la chaleur, comme si j’avais cherché le champ lexical du feu ! Je suis comme aimantée, fascinée par le feu qui fait peur autant qu’il happe, cet élément qui a permis à l’humanité de survivre, à la fois créateur et dévastateur. J’ai repensé à ce titre, et je l’aime, parce que c’est comme un petit poème, un haïku. Il veut tout et rien dire, c’est presque un geste un peu néo-surréaliste, une manière d’aller au bout du poème jusqu’à ce qu’il s’annule, et en même temps, qu’il soit infini. Et en vrai, je crois que ça voulait aussi dire quelque chose d’assez profond sur mon cheminement de ces trois dernières années, ne pas me faire dévorer par la passion, y survivre et en faire quelque chose. Que je puisse brûler, reprendre le contrôle et transformer ce feu amoureux qui a pu être très dévastateur dans ma vie. C’est un album de libération.

On retrouve le disco, forcément, puisque le disco et toi c’est une recette qui marche.

Je suis dedans comme Obélix est tombé dans la potion magique quand il était petit. J’avais déjà plusieurs titres disco sur mon premier album comme « L’indien » ou « Samedi soir », j’avais ma grosse boule à facettes et mon rideau à paillettes sur scène. Le disco c’est un genre indémodable et un groove qui me plait parce qu’il est faussement naïf. C’est une vraie science de l’arrangement, ce n’est pas si facile que ça de faire danser les gens. Il faut être malin pour que ça marche et que le corps ait envie de se lever !

Et il y a évidemment des chansons bien déprimantes comme tu en as l’habitude. Tu es une éternelle mélancolique ?

Eternelle mélancolique, bien sûr ! Ça me joue des tours parfois, parce que je touche vraiment le fond de la piscine. J’oscille tout le temps entre les confettis et les mouchoirs.

Brûler le feu / Romance Musique
Sortie le 19 novembre 2021
En concert à l'Olympia les 16 et 17 février 2022