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[ITW] Philippe Katerine : « Le sexe, c’est mon sujet de conversation préféré »

undefined undefined 4 mars 2020 undefined 16h53

undefined undefined 5 mars 2020 undefined 18h43

Sarah Leris

Tu as profité de ton discours aux Victoires de la musique pour prendre position contre les catégories genrées.

C’était surtout pour l’idée de relancer une polémique. C’est vrai que je trouve ça un peu ridicule, de séparer tout le temps. Aux JO ça commence déjà à être un peu désuet, on devra bientôt faire des équipes mixtes, mais en musique ou en art en général, ça me paraît absurde, il n’y a pas d’art féminin ou masculin, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire.

Est-ce qu’il y a eu une rencontre ou une figure féminine qui a tout changé pour toi ?

D’abord ma mère qui reste très présente dans ma life, mais aussi Anna Karina qui était très importante pour moi. Elle est partie récemment, je pensais à elle aux Victoires de la Musique en recevant ce trophée, je me suis dit « tiens, ça lui aurait fait plaisir ». C’est pas qu’on se ressemblait, mais on se voyait assez périodiquement, on a travaillé ensemble, voyagé ensemble, et elle n’avait pas honte de ses sentiments, c’est ça aussi qui est important.

Tu as dit de cette Victoire qu’elle te redonnait confiance en toi. Après 30 ans de carrière, il arrive encore de manquer de confiance en soi ?

Bien sûr, heureusement ! Il y a des jours où j’ai peu de considération pour ce que je fais. Je suis très dur avec moi-même mais je le vis très bien, ce sont des phases de « déconfiance » qui, je pense, doivent être vécues. Mon père disait tout le temps « Il faut vivre chaque étape de sa vie, et chaque étape de sa vie est un cadeau, y compris les moments merdiques. » Parce que ça aide surtout à apprécier les bons moments.

« Il y a des jours où j’ai peu de considération pour ce que je fais mais je le vis très bien »

Deux jours plus tôt paraissait le clip de « Duo » avec Angèle qui fait une utilisation abusive du fond vert. Est-ce qu’on peut y voir un sentiment de nostalgie d’un temps révolu où les clips indés étaient tournés dans des conditions rudimentaires, forçant les réalisateurs à pousser leur imaginaire au plus loin ?

C’est vrai que ce n’est pas un clip avec énormément de moyens, et quand il faut se démerder ça excite l’imaginaire, on trouve des solutions, j’ai toujours travaillé un peu comme ça il faut le dire. Il y a Manou Milon qui a travaillé dessus (à l’origine du projet musical Bruxelles ma Belle, ndr), et un gars qui s’appelle Vincent Castant et qui réalise « Ouai J’vois Ouai », une série que j’adore. Je suis très fan, je trouve que c’est d’une poésie redoutable et toujours inattendue, et j’étais très heureux de travailler avec ce grand poète.

Les clins d’oeil à l’actualité sont nombreux dans Confessions, comme dans « BB Panda » qui ouvre l’album en parlant d’Emmanuel Macron. C’est quelque chose qui t’inspire, l’actualité ?

Ça dépend des disques, là c’était un moment où j’étais branché sur les journaux et ça a transpiré dans mes chansons, comme de la sueur. Ça fait partie de la chose, mais ce n’est pas toujours agréable de citer Macron, ou Marine le Pen jadis. C’est un peu ingrat, mais les chansons ne sont pas toujours forcément faites pour être jolies, alors j’accepte cette ingratitude.

À nouveau ici on parle surtout sexe parce que c’est l’un de tes sujets préférés, le morceau plus libidinal étant quand même « Point noir sur feuille blanche ». Est-ce que tu fais partie de ceux qui en disent le plus mais en font le moins ?

En tout cas je ne fais pas partie de ceux qui en font le plus, ça c’est sûr ! Mais c’est un sujet tellement crucial, c’est même mon sujet de conversation préféré entre amis, parce que ça mélange plein de choses, la psychanalyse, l’enfance, comment on est, où on va… C’est d’ailleurs exactement le centre du corps humain, tout passe par là. Il y a aussi le ventre et les intestins, un sujet très important, mais c’est un sujet plus… âpre. J’ai beaucoup parlé de transit et de scatologie dans mes chansons, c’est d’ailleurs comme ça que j’envisage le fait d’écrire des chansons, c’est une espèce de transit, tu ingères et tu éjectes.

Confessions c’est donc une psychanalyse ?

On peut dire ça, dans le sens où quand j’ai fini le disque je me sentais très léger, je me sentais bien. Comme après une analyse de 15 ans. J’en ai jamais fait, mais je constate que je me sens tellement bien quand j’ai fini d’écrire un disque, c’est un tel bonheur. Après je n’exclue pas d’en faire une un jour.

«  Ma façon de fonctionner est très olfactive, je ressens d’abord les sentiments par l’odeur. Mes nasaux sont toujours très grand ouverts. »

J’ai lu dans une interview que tu as donné à Libération qu’il n’y a pas de pop sans perversion. T’es un gros pervers, un sadique, un obsédé ?

Je pense que tout le monde a son fond de perversion, de vice, c’est évident. Quand j’écoute de la pop et qu’il n’y a pas ça, c’est comme si je mangeais des pâtes sans sel, sans beurre et sans huile d’olive, ça n’a pas de goût. Tous les groupes que j’ai écouté ont ce coté parfois dangereux, parfois malaisant. J’aime quand il y a du venin, quand le verre est dans la pomme, quand il y a du danger. Les artistes que j’aime en musique, en cinéma, en art plastiques, sont des artistes qui acceptent ça, de Gainsbourg à Charles Trenet, de Duchamp à Godard, en passant par Kanye West ou les Rolling Stones. Dans le son, dans l’attitude, on sent tout de suite quand on est dans une forme d’honnêteté plutôt que de chanter quelque chose pour avoir l’air sympa. Le gros problème c’est souvent ça, on veut se faire aimer mais on veut avoir l’air sympa, ça c’est tout ce que je déteste et je le sens tout de suite.

Il y a bien sûr ce chibre sur la pochette de l’album. C’est un moyen de te moquer de la virilité masculine si imposante ?

Pour moi c’est plus une trompe qu’un chibre, je vois ça plus comme Dumbo, pas comme quelque chose de masculin. C’est aussi une façon de dire « Qu’est-ce que je fais de ce truc ? ». C’est toujours là quoi, ça te suit tout le temps, ça prend de la place, faut le ranger, c’est chiant. Franchement j’aimerais bien parfois m’en débarrasser. Cette pochette est aussi une forme d’autodérision, j’ai l’air franchement grotesque. Mais ce que je retiens dans cette photo c’est le regard, un regard d’enfant perdu.

Tu es actuellement en tournée dans toute la France. Entre des narines géantes et un hérisson qui s’envole au ciel depuis la scène, chaque spectacle est un show, il y a toujours ce désir de donner plus qu’un simple concert.

J’ai fait un spectacle de danse contemporaine avec Mathilde Monnier en 2006 qui s’appelait « 2008 Vallée », où on était vraiment dans la mise en scène, c’est une expérience qui m’a énormément marqué. Après ça, mes concerts sont devenus complètement différents ! Ça ne m’intéressait plus du tout de monter sur scène comme j’étais habillé dans la vie, je voulais me métamorphoser et devenir un héros, choisir moi-même mes habits et le décor. C’est très amusant, et plus je fais ça plus ça me passionne dans les moindres détails. L’important c’est de s’interroger à chaque fois sur ce qu’on propose.

Pourquoi les narines alors ?

Tout simplement parce qu’on peut mettre son doigt dedans, il y a une notion de pénétration. C’est aussi ma façon de fonctionner qui est très olfactive, je ressens d’abord les sentiments par l’odeur. Mes nasaux sont toujours très grand ouverts.

Quels sont tes meilleurs souvenirs avec les odeurs ?

Il y a l’essence, j’adore l’essence, qui me ramène à beaucoup de choses puisque ma tante avait une station service. Et puis l’odeur du gazon fraichement tondu, qui reste pour moi le graal. Ça m’arrive encore de me promener dans des lotissements le samedi, parce que le samedi souvent les gens tondent leur pelouse, et de m’attarder devant les jardins fraichement tondus, et d’ouvrir grand les nasaux. Pour moi, c’est un voyage infini. C’est lié à l’enfance, puisque mon père aussi coupait l’herbe le samedi, et moi j’étais là, à côté de lui, à humer, à m’attarder.

Où est-ce qu’on boit et qu’on mange le mieux à Paris ?

J’aime bien les tout petits cafés qui ressemblent à des couloirs, où l’on peut à peine s’asseoir. Il y avait un café que j’adorais rue Rodier (9e), qui s’appelait le El Café, et puis un jour Philou le patron a fermé. C’était un drame pour moi. Depuis je erre à droite à gauche, c’est le hasard qui étanche ma soif. Côté victuailles je suis très fruits de mer, et pour moi le plus grand, c’est Iñaki Aizpitarte, un chef de génie qui travaille au Chateaubriand, avenue Parmentier (11e).

Philippe Katerine
Confessions / Cinq 7 - Wagram
Le 28/04 au Zénith de Paris et en tournée dans toute la France