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Mathieu Boogaerts : Woody Allen contre Superman

undefined undefined 16 novembre 2016 undefined 00h00

undefined undefined 12 décembre 2016 undefined 17h25

Agathe

J'ai un souvenir très précis de Mathieu Boogaerts : c'était en 96, il y a 20 ans pile-poil, son clip Ondulé où il se faisait coiffer à l'envers passait entre des tubes de dance à chier comme Corona ou la Macarena. Les jeunes de mon âge ne craignaient pas forcément. Je dirais même qu'il nous a réconciliés avec la chanson française et initiés au calme et à la sagesse. Sa petite voix douce qui calme tout le monde est restée dans les mémoires du temps de la télé carrée qui captait mal M6. 

Pendant 20 ans, comme un vieux collègue de job d'été, on le voit peu si on n'a pas fait l'effort de rester en contact avec lui ; en effet ce n'est pas le roi des médias. C'est dans les locaux de Tôt ou tard, responsable de grosses machines chanson française, squatteur de Taratata depuis des lustres, que je rencontre un homme timide, simple et accompli, en pleine force de l'âge, la tête coincée entre les triples disques d'or de Vianney et de Delorme.

Est-ce qu'on dit Boogaerts ou Boogaerts ? 

En vérité aucun des deux. On dit Boogaerts, c'est flamand. A l'école, tout le monde disait Boogaerts, et un jour mon grand-père est arrivé en me disant « non mais tu es fou, on dit Boogaerts ! ». Voilà. 

Tu avais un groupe avec M il y a plus de 20 ans. Est-ce que c'est un choix de ta part de ne pas avoir suivi "l'autre Mathieu" sous les paillettes ?

Si c'est un choix, c'est inconscient. Dans aucun cas je choisis de ne pas être dans les médias. Si demain Drucker fait un week-end spécial et m'invite, j'y vais en courant. J'ai pris le parti de ne pas faire des chansons que pour moi. C'est très prétentieux de faire un disque, de mettre sa photo et de faire des concerts, pour moi ça s'adresse au reste du monde. Je trouve en plus que les chansons traitent de sentiments universels et intemporels, donc si je suis confidentiel, je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas cherché à l'être. Je ne me dis pas que M est un vendu et que moi je suis un puriste. Lui c'est de la musique de stade, des solos de guitare, du grand spectacle ; c'est un peu Woody Allen contre Superman. 

C'est peut-être aussi une histoire d'identité visuelle ? Comment ça se passe avec M/M (Paris) (Directeurs artistiques pour Björk, Madonna, Vanessa Paradis, Acné Studio, Louis Vuitton...) ? 

Je vois les pochettes de Shaka Ponk, y'a des espèces de singes, je trouve ça laid, et pourtant ça cartonne. Je ne parle pas de goût, tout cela est très subjectif. La preuve, eux en vendent 100 000 et mois 10.  

J'ai rencontré Michael et Mathias (fondateurs de M/M) il y a plus de 20 ans. Ma maison de disque pour mon premier album me proposait des graphistes que je n'aimais pas trop, alors j'ai pris le temps de regarder plein plein de pochettes. Et je me suis rendu compte qu'à chaque fois que j'aimais un truc, eh bien c'étaient eux. Je les ai donc rencontrés à peine 3-4 ans après le lancement de leur boite. Puis voilà ils ont gagné mon disque. Spontanément, ils ont fait le 2e, le 3e, puis tous... A chaque fois ils ont une vision globale hyper juste de ce que je fais, c'est beau, cohérent, moderne, libre, brillant. J'ai l'impression d'avoir beaucoup de chance d'avoir travaillé avec eux. Ils n'ont pas une liberté totale quand ils travaillent mais par contre ce sont des artistes. Tu ne peux pas leur dire « mets-moi du bleu là et change-moi la typo », ce n'est pas comme ça que ça marche. C'est comme si on me disait de changer le couplet d'une de mes chansons. Quand je vais les voir, j'arrive soit avec des documents, une photo, une histoire que je leur raconte... Je leur donne un cadre, c'est un moment très important à chaque fois, c'est cette demi-heure là qui va conditionner tout ce qu'ils vont faire ensuite. Ensuite, ils me proposent un truc et là je n'ai plus trop de souplesse, je n'ai donc pas intérêt à me planter. C'est toujours super anxiogène parce qu'on passe des années à travailler sur un disque et on te dit « bah voilà c'est ça ». Mais en général je suis d'accord très vite. 

Est-ce que tu cartonnes toujours autant au Japon ? 

Non ! En fait c'était surtout les deux premiers disques. Je crois que c'était la mode à l'époque, des chanteurs français un peu pop ou je sais pas quoi, j'ai fait deux tournées là-bas, une dizaine de concerts dans des villes différentes, c'est un super souvenir. Pour être tout à fait honnête, je me dis que c'est peut-être la maison de disques qui n'a peut-être pas les bonnes entrées là-bas. Avant j'étais chez Universal, donc par définition ils y étaient déjà. Moi je veux bien y retourner, mais peut-être que mon entourage se dit que c'est trop loin, trop compliqué... Je ne me donne pas les moyens d'y aller. 

Quel est ton point de vue sur l'industrie musicale actuelle ? 

Tout évolue et tout le monde est un peu paumé j'ai l'impression... Je me suis abonné à Spotify, ça fait un an que je n'ai pas touché un disque. Il y a des gens pour qui ça fait 10 ans, moi c'est assez récent. Et depuis ce jour-là, je me dis, passez-moi l'expression, « quel est le con qui va acheter mon disque ? » Je sors un album alors que moi-même je suis passé de l'autre côté. Je suis persuadé qu'il n'y aura que douze personnes qui vont l'acheter. Des gens qui ne sont pas au courant qu'on peut l'écouter gratuit sur le truc. J'ai vraiment l'impression qu'il y a un souci. Les revenus sont insignifiants, c'est de l'ordre de 14€80, 48€20... Après, j'accepte le truc comme certains ont dû accepter le fait d'être enregistrés. Des gens qui jouaient en live et d'un coup on leur a dit « bah vous jouez une fois et on pourra vous écoutez 10000 fois. » C'est peut-être un mal pour un bien, moi en tant que consommateur je n'ai jamais écouté autant de musique. J'accepte, même si quelques fois ça peut être vexant. Et même si j'étais millionnaire, ça me ferait la même chose : je mets tellement d'amour dans ma musique, que l'idée qu'elle puisse être copiée, comme ça... J'ai l'impression d'être violé. J'ai besoin soit d'argent, soit de me faire applaudir. Ça peut à terme créer une incidence sur mon envie de le faire.  

C'était plus facile en 96 ? 

Oui ! pendant ces années-là, c'était le pic des ventes de disques en France. Je me souviens qu'à l'époque, les budgets étaient plus importants pour tout. Les clips coûtaient cinq fois plus cher, on m'envoyait des taxis pour un rien... Aujourd'hui, je me sens vraiment privilégié parce que j'ai une maison de disques, je peux faire ce que je veux, en gros je vois toujours le verre à moitié plein, mais tout est un peu plus revu à l'économie. Mais je suis de nature économe de toute façon... 

Qu'est-ce que tu penses des Souchon, des Voulzy, qui sont là depuis des années et monopolisent la scène chanson française ? 

Alors bien sûr ça dépend desquels, je ne vais pas faire de généralités, mais je trouve qu'il  y a beaucoup d'artistes en France qui, arrivés à une certaine notoriété, prennent toujours autant de place dans les médias, dans les journaux, à la radio et cela peu importe la qualité de ce qu'ils font. Renaud sort un disque et d'un coup...  (silence) Y'en a plein comme ça. Alors on écoute le disque, y'a un truc pas mal, mais y'a plein de trucs pourris. Mais c'est pas grave, ils ont ce statut de "monstre sacré". C'est vraiment déprimant et pathétique. A côté de ça, Souchon, j'ai fait sa première partie y'a 10 ans au Casino de Paris et j'ai vu les concerts et j'ai chialé à chaque concert, j'ai trouvé ça merveilleux. Vraiment. Je suis un peu jaloux, parfois je me dis « mais pourquoi cette chanson n'a pas la même popularité qu'une chanson de Voulzy ? » J'espère qu'il y a d'autres raisons que parce que lui il est vieux, et que moi je suis jeune. J'espère que c'est pas ça. 

Parce que tu n'es pas vieux, certes, mais tu n'es pas jeune non plus... J'ai l'impression qu'on a délaissé une génération non ? 

Bande d'enculés. (rire) J'aimerais bien passer chez Drucker, aller dans un bal populaire et que le groupe reprenne une chanson à moi et que les gens se mettent à danser. C'est le symbole d'un succès populaire. Mes chansons ont cette vocation. En aucun cas je ne snobe un public. Jamais de la vie. Après je relativise, je fais exactement la musique que je veux, j'ai 40 ans, ça fait 20 ans que je fais ça, quand je fais un concert y'a 400 personnes qui m'attendent... Quand je vois des mecs qui bossent dans des bureaux... (merci, ndlr). Je ne suis pas à plaindre. Si je veux rentrer en métro je rentre en métro. Si t'as Bruel qui prend le métro, c'est pas la même chose. J'ai la vie parfaite, je le pense vraiment. 

 

Extrait du Bonbon Nuit n°69 - Novembre 2016. Par Raphaël Breuil, photos de Thibault Montamat.