Fondu de fermeture, les premiers noms en blanc se détachent sur l'écran noir... mon cœur cogne dans ma cage thoracique, j'ai un peu de mal à respirer, je dois avoir un regard de demeuré, les paumes de mes mains appuyées de chaque côté de ma tête... Peut-être est-ce aussi un peu dû à tout le vin englouti hier, mais bordel c'était incroyable ! Quel film !
On comprend souvent mal ce que veut dire Terrence Malick, ou on le comprend à l'envers, ou on ne le comprend pas du tout. Peut-être parce que sa façon si intime et singulière de filmer ne met rien de ses personnages en relief, on trouve son cinéma lent, contemplatif et soporifique, mais ce qui est certain, c'est qu'il est, de façon presque étouffante, beau. Après A la merveille, sorte de plongée ontologique dans l'intime du couple chiante comme la mort, et Knight of Cups, une infiltration plutôt intéressante de la communauté du show business holywoodien, Song To Song doit être envisagé comme la conclusion d'un triptyque à la portée aussi sociologique qu'humaniste.
En effet, on suit, toujours de très près et dans des scènes comme prises sur le vif et mises bout à bout sans véritable fil conducteur (en gros ce qu'on pourrait appeler la "manière" Malick, comme on le ferait pour des peintres classiques), l'évolution de deux couples, l'un formé par Ryan Gosling et Rooney Mara, l'autre par Michael Fassbender et Natalie Portman. De backstages de la scène musicale d'Austin en appartements luxueux, Fassbender le producteur fait briller les yeux des deux wannabe musiciens que sont Gosling et Mara, qui se rencontrent au tout début du film lors d'une fête donnée par le premier. Les imbrications, les dépendances, pour faire court les rapports entre ces quatre personnages, sont l'enjeux principal du film : quels sont les sentiments et les émotions que ces personnages vivent intérieurement, pour chacun et les uns par rapport aux autres. Là où Malick est très fort, c'est qu'il parvient à conférer à ces notions abstraites des vertus esthétiques, via le jeu des acteurs et les mouvements de caméra, qui les matérialisent.
Ainsi, nos personnages évoluent régulièrement dans des décors aseptysés, de magnifiques appartements vides ou des paysages naturels grandioses, qui permettent d'isoler l'humain de son environnement habituel et de se concentrer dès lors uniquement sur l'émotionnel, le ressenti, la vie intérieure des personnages, en somme. C'est un peu difficile au début, on a du mal à rentrer dedans, mais une fois qu'on y est, c'est extraordinaire de puissance évocatrice, d'une justesse rare et beau comme un poème de Verlaine. Il convient donc d'envisager ce film plus comme une expérience sensorielle et visuelle que comme une histoire qu'on nous raconte, avec un début, un climax, une fin. Il faut se laisser gagner par les images et l'ambiance musicale, y plonger sans se boucher le nez. Ici le temps n'a que très peu d'importance, on se perd d'ailleurs dans la chronologie des événements, mais ce que raconte Malick, c'est tout simplement la vie, l'amour, la colère, le désespoir, la folie, une immense variété d'émotions permise par le médium, utilisé avec une virtuosité unique, qu'est la caméra.
Qu'on aime ou pas Terrence Malick, que son film nous touche ou non, que son intention soit bonne ou mauvaise, qu'on le considère comme un charlatan ou un génie, son cinéma propose indéniablement quelque chose d'unique et de différent, qui fera vibrer quelque chose de fort en vous si vous choisissez de vous y adonner. Au pire, il pourra toujours se targuer d'avoir réuni, avec Song To Song, l'un des plus beaux castings de tous les temps...
Song To Song, de Terrence Malick
Avec Ryan Gosling, Rooney Mara, Michael Fassbender, Natalie Portman
En ce moment en salles