Nous avons rencontré ceux pour qui le mot "refugié" a pris un sens et une place particulière dans leur vie. Ils hébergent, nourrissent, donnent des cours de français, accompagnent chez le médecin, remplissent des formulaires et aident de multiples façons les migrants, au quotidien. Voici leurs visages et leurs histoires.
« On connaissait un peu la traversée des migrants mais c’est pire que ce qu’on pense. Mohammed nous a apporté un autre regard. »
Salomé, 26 ans, éducatrice spécialisée et Pierre 27 ans, commercial en assurances, hébergent chez eux, dans le 77, Mohammed, 35 ans, Soudanais réfugié.
Il y a quelques mois, voyant de plus en plus de gens dans la rue, Salomé et Pierre ressentent l’envie d’accueillir un réfugié. « On n’avait une chambre en plus et pas encore d’enfant, alors on a sauté le pas. » Ils entendent parler de SINGA, une association qui met en relation des migrants et des personnes souhaitant les héberger. Ils remplissent un formulaire et une rencontre est très vite organisée. Mohammed, 35 ans, Soudanais réfugié, s’installe chez eux le 1er mai 2017. Il a un DUT en génie mécanique, pourtant il travaille six jours par semaine pour une société de nettoyage. Quand il termine, il fonce au centre humanitaire de la porte de la Chapelle pour venir en aide aux Soudanais et aux autres migrants. Avec SINGA, l’idée est que le réfugié reste un an maximum chez eux et qu’il trouve ensuite un appartement et tout ce qu’il faut pour vivre décemment. Au quotidien, Salomé et Pierre l’aident à envoyer des CV. « Même si il n’a quasiment jamais de réponse. » Il y a aussi les démarches administratives. « Il veut faire venir sa femme mais c’est très compliqué. Tout est lent, pour le logement social par exemple, il est sur liste d’attente pour 4 ans. » Mohammed raconte parfois son parcours. « La traversée des migrants c’est pire que ce qu’on pense. Il nous a apporté un autre regard. » Des discussions qu’ils ont souvent autour d’un repas : « il nous fait de la cuisine soudanaise, c’est trop bon ! Il nous laisse des petits plats dans le frigo aussi parfois. C’est un colloc' mais en mieux, parce qu’il est top ! »
Si vous voulez vous aussi accueillir un réfugié chez vous, rendez-vous sur la page de SINGA.
« Ce qui est génial, c’est de faire quelque chose où tu ne rentres pas du tout dans les paramètres. »
Célia, 31 ans, comédienne multi-casquette, s’occupe d’une famille d’Afghans depuis un an.
Célia a commencé en distribuant des repas à Stalingrad dans les camps. Sa meilleure amie la rencarde, elle fait une réunion d’information à Jaurès et se retrouve à préparer 200 repas dans d’immenses casseroles. Là-bas, elle nourrit principalement des Africains et des Afghans. « Je me suis sentie prise d’une mission. J’y étais tous les vendredis pendant quatre mois. On faisait du couscous, des pâtes, du riz. » Sur place, c’est une grosse organisation pour savoir quoi donner, à qui distribuer. « Il ne faut pas faire le superman tout seul, l’idée c’est d’être dans une collectivité. » Ça lui plait. « Ce qui est génial, c’est de faire quelque chose où tu ne rentres pas du tout dans les paramètres. » Et puis, il y a eu le démantèlement des camps. Un jour Célia voit un message sur les réseaux : on recherche quelqu’un qui pourrait donner à manger à une famille d’Afghans. Elle entre en contact avec eux et leur fournit de la nourriture. Andja et Hamid ont deux enfants. Faryal, 4 ans et Benjamin 13 mois, né en Norvège, d’où son prénom européen. Depuis un an, elle les accompagne et les aide principalement grâce à des dons de son quartier, de ses amis. « Je traduis les carnets de santé, je fais des courses, je les conduis chez le médecin, j’emmène les enfants au manège. » Pour l’instant, la famille vit dans un mini studio dans le 17e et le petit de 4 ans est scolarisé. Mais les parents ne touchent pas encore le RSA. Dans le couloir de son appartement parisien, des Légos attendent dans l’entrée. « Je dois leur apporter, c’est ma dernière récolte. » Célia nous montre les photos d’elle et des petits au manège : « je les adore, il sont trop mignons, d’ailleurs il faut que je rappelle Ali ! »
« On leur fait une carte de bibliothèque, au moins, ils existent quelque part. Ils peuvent revenir emprunter des livres. »
Julie, 30 ans, responsable de communication, membre de l’association Paris d’Exil, donne des cours de français aux mineurs isolés étrangers.
Au départ, Julie aussi a commencé dans les camps, à donner des vêtements, récupérer des denrées, signaler les jeunes mineurs. Elle fait partie aujourd’hui de l’association Paris d’Exil qui gère 350 hébergeurs sur Paris. Il y a aussi des cours de théâtre, des ateliers vidéo. Et les cours de français à la bibliothèque de Couronnes avec les migrants mineurs. Les jeudi et vendredi matins de 10h à 12h, les profs se relayent pour apprendre les bases du français. Son premier cours, elle s’en souvient. Julie a dessiné une carte de Paris, et elle a montré la Seine, les bus, les métros. « On leur apprend à dire la base au début : "j’ai faim" ou "j’ai mal à la tête". » Il y a trois niveaux : débutant, intermédiaire et avancé. Le but de ces cours est aussi que les migrants se fassent des copains. « On est contents quand on voit quelqu’un d’isolé qui à la fin s’est fait des potes. » La bibliothèque prête une salle pour accueillir ces cours. Il y a du thé, du café et il fait chaud surtout. « On leur fait une carte de bibliothèque, au moins ils existent quelque part. Ils peuvent revenir emprunter des livres. » Quand ils arrivent sur le territoire, les mineurs doivent prouver leur âge au risque de se voir renvoyer dans la rue. « Ils vont au DEMIE (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers), on leur demande de raconter leur parcours et leur cas est statué en 15 minutes. » Julie voit ces jeunes qui errent toute la journée avec leur sac à dos. « On les renvoie dans la rue sans rien, avec un document qui dit qu’untel est trop grand pour être mineur ou alors qu’il connaît un cousin donc qu’il n’est pas isolé, c’est n’importe quoi ! » Pour empêcher l’ennui, en plus des cours de français, Paris d’Exil organise des sorties au musée, à la piscine, pour changer du quotidien des rendez-vous au tribunal ou des errances urbaines. « Paris d’Exil, c’est une association militante mais l’idée n’est pas de remplacer l’Etat. On a peur pour tous ces gamins, c’est une passerelle, en attendant que le gouvernement prenne ses responsabilités. »
Si vous souhaitez filer un coup de main à Paris d’Exil pour donner des vêtements, de la nourriture, devenir prof ou héberger des migrants, rendez-vous ici.
« C’est une richesse ces migrants, il faut apprendre à écouter l’autre, à entendre son accent, à l’aimer. »
Michel, 58 ans, libraire, abrite des réfugiés toutes les nuits dans sa librairie du 11e arrondissement.
« C’est une circonstance ». Humblement, Michel raconte comment il s’est retrouvé à ouvrir les portes de sa librairie chaque nuit pour accueillir des familles de réfugiés, principalement des femmes et des bébés. « J’avais hébergé une avocate éthiopienne qui était sur les camps de Calais. Et puis d’autres, ça a commencé comme ça. » L’association Utopia 56 frappe à sa porte pour lui proposer d’accueillir des migrants la nuit. Michel se procure rapidement des matelas. Depuis, tous les soirs, le téléphone sonne vers 21h. On lui annonce combien de personnes dormiront dans sa petite librairie. « En général, ils arrivent tard, vers 23h, et le matin ils laissent la clé sous la porte. C’est un hébergement d’urgence donc ils ne restent qu’une seule nuit. » Pas de place au 115, la librairie est là, avec un "oui" systématique. Il y a un petit four, un évier et de quoi prendre le petit-déjeuner. Michel se souvient du choc qu’il a eu quand il a vu débarquer les migrants. « On connaissait les SDF habituels du quartier, mais là un soir, je vois un mec dans une cabine téléphonique, il était complètement paumé. Et puis il y a eu les bébés, les femmes. » Il parle de la politique anti-Roms de Sarkozy, de la pulvérisation des camps, de Valls et Hollande qui n’ont rien fait pour arrêter l’hémorragie. Michel a des souvenirs précis de la rue. De regards de femmes, leur bébé dans les bras la nuit. Ses yeux s’embuent lorsqu’il parle de ces rencontres. « Quand un bébé arrive à la librairie, parfois trempé de pluie, fatigué, en pleurs, il entre, on installe les matelas. Quand je quitte la bibliothèque, je regarde à travers la vitre, l’enfant marche, rigole, touche à tout, gazouille. A ce moment-là j’ai la sensation que quelque chose est rétabli. » Pour lui, chaque personne qui a un hangar, une pièce, un espace devrait pouvoir faire de « l’hébergement citoyen ». Michel propose aussi de construire des cabanes dans des jardins pour les réfugiés. « C’est une richesse ces migrants, il faut apprendre à écouter l’autre, à entendre son accent, à l’aimer. »
Si vous voulez vous renseigner sur le travail d’Utopia 56 c’est par là. Et pour découvrir la très originale et rebelle librairie de Michel, Lady Long Solo, c’est par ici.
« Je suis juste une personne solidaire, hors associations. »
Agathe, professeur d’études secondaires, aide les migrants au quotidien et organise des déjeuners solidaires tous les jeudis et vendredis à Couronnes.
« Tu vas bien ? T’en es où avec le juge ? » Agathe connaît presque tous les prénoms des 200 mineurs isolés qui viennent déjeuner au jardin de la rue Pali-Kao dans le 20e. Accompagnée d’une dizaine de bénévoles, elle se renseigne sur l’état de chacun tout en leur servant une grosse plâtrée de pâtes à la sauce tomate. Pain, œufs durs, pâtisseries : ils font tous la queue pour se remplir le ventre. Certains migrants jouent au foot, d’autres mangent sur une table de ping-pong ou rigolent avec leurs copains. Des jeunes de leur âge quoi. L’ambiance est familiale malgré la réalité. « J’ai besoin d’un pantalon. Et moi de shampoing. » Agathe écoute toutes les demandes, donne des recharges de téléphone, va chercher des chaussures. « Lui, il dort dans la rue, donne-lui une grosse assiette ». Tous les jeudis et vendredis à 12h, ils se retrouvent ici pour le déjeuner. Agathe a mis ça en place, en plus des maraudes qu’elle effectue au quotidien et des centaines de coups de téléphone qu’elle reçoit pour aider ces mineurs réfugiés. « Je suis juste une personne solidaire, hors associations. » Il y a 2 ans, la prof d’école de commerce découvre sur Facebook des photos de migrants à Stalingrad. « J’ai pris tout ce qui pouvait aider et j’y suis allée. C’est là que j’ai mis un pied dedans. » Depuis, Agathe est omniprésente sur le terrain. Elle connaît bien les mineurs qui se rendent au DEMIE à Couronnes. A une époque, elle venait les chercher dans les camps, « là où ils n’ont rien à faire », pour les y amener. Elle note dans son carnet usé des centaines de prénoms et de numéros de téléphone. « On a toujours besoin de nourriture, de carte de téléphone Lyca, de tickets de métro ou de bras tout simplement. »
Pour aider les migrants isolés, donner du temps, de la nourriture, des vêtements, des recharges de téléphone, n’hésitez pas à contacter Agathe Nadimi, via les deux groupes Facebook suivants : Soutien aux exilés de GdE et Stalingrad et Organisation Ravitaillement.
Ils sont soudanais, ivoiriens, maliens, erythréens, arméniens, syriens, guinéens, pakistanais, afghans, irakiens, iraniens, (etc.), mais aussi parisiens puisqu’ils arpentent les rues de la capitale toute la journée. Ils attendent tous quelque part que leur destin change.