Des outils sont dispersés sur la table en bois massif qui trône au centre de la pièce. Lorsque l’on passe la porte, l’odeur du cuir s’empare immédiatement de nos narines. Ici et là, des échantillons, des prototypes en cours de réalisation et des sacs en cuir habillent les murs, les meubles et la vitrine. Alors que Joshua, stagiaire, s’attèle à la fabrication d’une pièce de petite maroquinerie, Tiffanny Maquin-Roy, maroquinière reconvertie, organise les prochains ateliers créatifs qu’elle animera. Depuis 2020, l’artisane a installé les locaux de L’Atelier, rue Lucien-Sampaix, dans le 10e. Un lieu où celle qui se qualifie « d’artiste dans l’âme » laisse libre cours à sa créativité et transmet ses connaissances et techniques de couture sellier, désormais rarement enseignées. Un lieu où elle s’adonne quotidiennement à ce métier qui la fait vibrer, après avoir passé 20 ans comme salariée dans le monde du digital.
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Comme Tiffanny, bon nombre de Français·es ont fait le choix de changer de profession pour se tourner vers des métiers manuels et ainsi faire renaître l’artisanat d’art. Selon l’Insee, le nombre d’entreprises artisanales a augmenté de 11,3 % entre 2013 et 2014, pour atteindre 1,2 millions. En 2017, ce nombre s’élève à 1,5 millions et selon les données des Chambres de Métiers et de l’Artisanat, la France compte actuellement 1,9 millions d’entreprises artisanales, tous secteurs confondus – alimentaire, bâtiment, production, services –, dont 60 000 exclusivement dédiées aux métiers d’art. L’artisanat connaît donc une croissance épatante, des années après avoir été partiellement délaissé au profit des nouvelles technologies, de la numérisation et de l’intelligence artificielle. Qui sont ces artisans 2.0 et comment insufflent-ils un vent de modernité à ces professions d’antan ?
Un nouveau souffle après la pandémie de Covid-19
Céramiste, tailleur de pierre, souffleur de verre, maroquinier, ébéniste... Face aux modèles de pensée classiques qui mesurent le succès d’une personne par rapport à son diplôme, les mentalités évoluent pour laisser place à l’écoute de soi et de ses envies. « Je viens d’une famille très traditionnelle où il fallait faire des études supérieures pour devenir médecin ou avocat, alors j’ai fait un double diplôme commerce-ingénieur. Mais j’ai vite compris que j’avais besoin de créativité, pas d’être devant un bureau. J’adore passer de l’idée à l’objet, je savais qu’avec la céramique, je serais plus libre », explique Anne Loquineau, jeune céramiste. Nouvelles techniques, nouvelles influences, cette génération de nouveaux artisans s’empare des pratiques anciennes pour y apporter un vent de modernité. D’après l’Onisep, plus de 1000 établissements sont accessibles pour se former en France à 281 métiers d’art. « Les gens s’y intéressent, les cours et les formations sont pleins, ça n’était jamais arrivé auparavant », constate-t-elle. Généralement plutôt masculins, ces métiers connaissent également une féminisation progressive. Sur les 3,1 millions d’artisan·es comptabilisé·es par les Chambres de Métiers et de l’Artisanat, 23 % sont des femmes.
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Si l’artisanat d’art connaît un véritable regain depuis ces dix dernières années, c’est à partir de 2020 – au moment de la pandémie de Covid-19 – qu’il a réellement connu son apogée. La crise sanitaire a en effet marqué un véritable tournant pour les disciplines manuelles et artistiques. Valeurs, éthique de vie et habitudes de consommation évoluent au fil des confinements successifs. Chez eux, les gens s’essayent aux loisirs créatifs divers et variés. Pour certains, de véritables vocations professionnelles se révèlent. Les reconversions s’enclenchent : « En CAP, on retrouve des trentenaires, quarantenaires, dégoûtés par le monde du travail en entreprise mais qui ont toujours eu une fibre artistique ». Pour d’autres, c’est la découverte d’un loisir, d’un moyen de « faire soi-même ces choses que l’on achetait autrefois sans trop réfléchir », développe Ana Bravo, elle aussi céramiste.
Allier rencontre, créativité et transmission de savoirs
Si la tendance est au fait-main et fait-maison, une dynamique autour des ateliers artisanaux s’enclenche pour s’essayer à des disciplines plus complexes et méthodiques. Se déroulant sur plusieurs heures, ils permettent aux fins connaisseurs comme aux novices de s’essayer à différentes formes d’artisanat d’art, seul·es ou en groupe, aux côtés d’un·e artisan·e professionnel·le. Pour Jacob, informaticien de 23 ans, c’est sur la céramique que le choix se porte : « J’aime l’aspect naturel de l’argile et c’est toujours satisfaisant d’apprendre une nouvelle discipline. L’exploration créative n’a pas de limite, c’est ce qui la rend si addictive. » Team buildings, sortie entre amoureux·ses, EVJF ou EVG... Plus qu’un loisir que l’on s’accorderait à soi-même, les ateliers manuels et créatifs deviennent une activité de partage, le cadeau idéal à offrir pour passer un moment mémorable à plusieurs.
©Wecandoo
Pour répondre aux demandes du grand public, des sites comme Wecandoo se développent avec pour objectif de revaloriser l’artisanat et le contact humain. « C’est agréable de suivre le parcours de quelqu’un, de voir son évolution au fil de l’apprentissage de plusieurs techniques », confie Ana, qui propose ses ateliers sur la plateforme, tout comme Anne et Tiffanny. Bâtie en 2017 par Edouard Eyglunent, Grégoire Hugon et Arnaud Tiret, le site répertorie plus de de 3000 artisan·es et 6 000 ateliers aux styles variables et dans toute la France, cinq ans après sa création. Ses plus grands succès ? L’initiation au tour de potier, la fabrication de son propre parfum, le brassage de bière ou encore la forge d’un couteau.
Transmettre son savoir et s’assurer une sécurité
« La passion, c’est ce qui compte le plus », affirme Ana. Si comme ses deux consœurs la Brésilienne d’origine s’est lancée dans l’enseignement de sa discipline, c’était dans le but de transmettre ses connaissances, certes, mais également d’obtenir un complément de revenus. « La liberté et l’indépendance que l’on a sont chouettes, mais il faut être bien organisé·e », ajoute-t-elle. Boutiques, sites web, marchés de créateurs... Le constat est sans appel : malgré une présence accrue et la multiplication des points de distribution, vivre exclusivement de la vente de ses pièces est parfois difficilement envisageable pour les artisan·es. « Il faut être conscient que si l’on veut bien gagner sa vie, il faut rester dans un métier plus classique », complète Ana. Grâce à la plateforme Wecandoo, 800€ sont en moyenne versés mensuellement à chaque artisan·e, ce qui leur permet une certaine garantie de revenus.
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Artisan·e, professeur·e... Pour qu’une société artisanale soit pérenne de nos jours, il faut savoir multiplier les casquettes pour également devenir chef·fe d’entreprise, chargé·e de communication, comptable ou encore créateur·rice de contenu. Bien que Wecandoo leur permette de toucher une clientèle plus large, avec une moyenne d’âge plus élevée, le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux jouent également un rôle-clé pour renforcer leur notoriété. « J’adorerais ne travailler que sur mes pièces, mais il me faut aussi gagner en visibilité sur les réseaux », précise Anne. Pour se démarquer des plus de 250 artisan·es proposant des ateliers à Paris, il faut savoir innover, proposer quelque chose d’original et être compétitif en termes de prix. Un challenge de tous les jours mais que les trois artisanes sont prêtes à relever sans vouloir faire machine arrière : « Voir le sourire et la détente sur le visage des client·es, ça ne me donne pas envie de faire autre chose », termine Tiffanny.
Plus aller plus loin :
- Histoires d’Artisans, un podcast de Lisa Millet
- L’artisanat, une nouvelle tendance ?, un reportage Arte
- Ce que sait la main : la culture de l’artisanat, Richard Sennett, aux éditions Albin Michel