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Interdire la cigarette dans les films français : sérieux ?

undefined undefined 20 novembre 2017 undefined 10h59

undefined undefined 20 novembre 2017 undefined 18h50

Louis Haeffner

La ministre de la Santé aussi veut faire le buzz ! Comment expliquer sinon qu'elle puisse sérieusement penser à interdire la cigarette au cinéma ? C'est comme si on disait aux réalisateurs américains de ne plus foutre de burgers dans leurs films. Il aurait fait comment Tarantino dans Pulp Fiction ? 


Agnès Buzyn promet donc « une action ferme » dans ce sens, à l'occasion du prochain plan national de réductiuon du tabagisme. Françaises, Français, réjouissez-vous, bientôt vous arrêterez cette saloperie de clope qui vous détruit la santé sans même que vous en ayez conscience, bande d'imbéciles. Et comment réaliser ce miracle ? Bien évidemment, il faut commencer par s'attaquer au cœur du problème, c'est-à-dire à la culture, ici représentée par son médium le plus populaire (après la télé), le cinéma. En effet, d'après Madame Buzyn, « Il faut aller au-delà du porte-monnaie (…) en s’intéressant notamment aux incitations culturelles à fumer. Je pense par exemple au cinéma qui valorise la pratique. La Ligue contre le cancer démontre dans une étude que 70% des nouveaux films français mettent à l’image au moins une fois une personne en train de fumer. Ça participe peu ou prou à banaliser l’usage, si ce n’est à le promouvoir, auprès des enfants et des adolescents, qui sont les premiers consommateurs de séries et de films, sur internet notamment. Des solutions doivent être envisagées pour mener une véritable politique de prévention prenant en compte cette sorte de publicité détournée pour la consommation de tabac ». Une fois n'est pas coutume, on nous prend, nous le petit peuple fumeur de cigarettes, pour des cons. D'ailleurs, il est intéressant de constater que la hausse du prix du tabac se limite à la seule cigarette ; le cigare, lui - un accessoire convenant plus, vous en conviendrez, aux gentlemen, garants d'un savoir et d'une bienséance millénaires -, voit sa hausse limitée, à la demande du gouvernement. On croirait à une blague tellement c'est flag', et pourtant. 

Mais revenons à notre premier propos. Si on interdisait la cigarette dans le cinéma français, ne perdrait-il pas toute une partie de son charme, voire de son âme ? Je sais pas moi, imaginez simplement Belmondo dans A bout de souffle sans cigarette. Il faut le comprendre, la cigarette est un vice typiquement français, et c'est bien la raison pour laquelle on la voit tellement au cinéma. Si le cliché du beret et de la baguette est aujourd'hui quelque peu dépassé, celui de la terrasse de café cigarette au bec est intemporel. Le Français fume, voilà c'est tout, c'est comme ça. Pensez à tous vos potes qui à un moment ou à un autre se sont retrouvés à afficher une photo de profil les cachant derrière un nuage de fumée bien compacte. Ou à la réputation de gros fumeurs qu'on nous fait à l'étranger. La cigarette fait tout simplement partie du patrimoine culturel français, je dirais même de l'esthétique française, et on voudrait nous l'enlever ? Bon, c'est sûr que faire de la clope le symbôle de la fameuse "particularité française" n'est pas la chose la plus maligne qui nous soit passée par l'esprit, mais lutter contre en banissant sa représentation, c'est tout simplement de l'hypocrisie

De même, faire des enfants et des adolescents les premières victimes de cette "promotion pour la consommation du tabac" - la rhétorique ici utilisée frise allègrement le ridicule - relève du manque total de réalisme. Ils sont, certes, les premiers consommateurs de séries et de films via Internet, c'est indéniable, mais je voudrais bien qu'on me dise quels films et surtout séries françaises ils regardent. Il ne me semble pas avoir jamais vu Daenerys Targaryen fumer sa clope tranquille, posée sur son trône de fer. Renseignez-vous Madame Buzyn, l'imagerie populaire que vous semblez mettre en cause ne pousse pas véritablement au tabagisme, loin s'en faut. 

D'autre part, si l'on bannit la cigarette de nos écrans noirs, on fait quoi de l'alcool, de la drogue, du sexe, de la violence ? On ne fait plus de films en fait. La question que l'on pose ici, que le ministère de la Santé pose, n'est pas celle du tabagisme et de ses conséquences évidemment néfastes. Ce n'est pas celle non plus de la représentation que l'on doit ou non lui accorder dans le paysage cinématographique français. Non, la vraie question qui est posée ici, c'est celle d'une certaine idée de la liberté de penser, de jouir, de créer, en un mot, de vivre. Et donc, également, de mourir.