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L\'incroyable histoire du bruit à Paris

undefined undefined 1 février 2017 undefined 00h00

undefined undefined 3 février 2017 undefined 15h12

Olivia

On pense souvent que notre Paris d’aujourd’hui est bien bruyant. Mais qu’en était-il autrefois ? D’où venaient ces bruits qui pour certains n’existent plus ? Comment faisaient les habitants pour supporter un tel vacarme ? Des experts nous ont éclairés sur le paysage sonore du Paris d’antan.


Au XVIIIe siècle, Paris était « extraordinairement bruyant », à tel point que « ça effraie les visiteurs, les Anglais notamment font demi-tour », nous raconte Arlette Farge, historienne du XVIIIe siècle et auteure de plusieurs ouvrages sur l'époque. La raison d’un tel vacarme ? « A cette époque, la population vit vraiment dans la rue », explique-t-elle.


Paris, au XVIIIe siècle, est « extraordinairement bruyant »

Il faut s'imaginer les coups de marteau des artisans avec leurs ateliers ouverts sur la rue, le cri des marchands ambulants, les cafés ou les tavernes où les gens s'enivrent, le bruit des carrosses, des chevaux, des fiacres et des cochers, les cloches qui sonnent tout le temps à toute volée, le bruit des animaux, les chiens, les chats, ainsi que les vaches, les moutons, les dindons qui sont abattus en plein Paris... nous décrit Arlette. 

Mais ce qui fait le plus de bruit, c’est la Seine. « Elle est faite de ports, et Paris est approvisionné par la Seine, les bateaux arrivent par la rivière, il y a des blanchisseuses sur les bateaux-lavoirs, des passeurs qui vont d’une rive à l’autre car il n’y a pas assez de ponts, les berges sont remplies d’ouvriers qui chargent et déchargent les bateaux ».

 carnaval-parisScène du Carnaval de Paris, rue Saint-Antoine, au XVIIe siècle ©Wikipedia


Comment la population supporte-t-elle un tel bruit ?

Tout d’abord, le bruit fait partie intégrante de la vie. « Ce n’est pas comme nous qui sommes calfeutrés, avec des magasins fermés », explique Arlette. « Aujourd’hui le bruit extérieur gêne beaucoup plus, il est moins violent, mais il est vécu comme une agression, alors qu’à l’époque les autres bruits, c’est une façon de vivre ». 

Les laiteries, les abattoirs, des animaux qui sont tués en plein Paris chaque jour... « Ces choses ne font pas l’objet d’une plainte parce qu’elles sont nécessaires à la vie », renchérit Mylène Pardoen, chercheuse au CNRS, qui au terme d'un projet fou d'une dizaine d'années a reconstituté le paysage sonore de la capitale au siècle des Lumières.

Surtout le bruit sert de marqueur, il permet à tout un chacun de se positionner dans la société. « Avant tout se passait par l’ouïe, tous les sons qui pouvaient coexister dans une rue ou un quartier permettaient à l’habitant de savoir où il se situait, les rythmes étaient plus marqués, aujourd’hui tout est lissé », explique Mylène. Chaque église avait sa couleur de sonnerie de cloches, et cela permettait de savoir où on se situait dans la ville.

Le brouhaha a beau faire partie de la vie, ce n’est pas pour autant que les gens le vivent bien. « Les nuisances de voisinage sont très importantes. C’était terrible parce que la promiscuité était très forte, les appartements donnaient les uns sur les autres, il y a des disputes en pleine rue, c’est de manière générale un environnement très violent », raconte Arlette.

C’est un Paris certes agressif, et bruyant, mais beaucoup de bruits sont aussi dus à la joie. « C’était un peuple très sensuel », confie l'historienne. Il faut s’imaginer cette ferveur ambiante, tous les jours sur les ponts, on joue de la musique – tambours, trompettes, violes –, les gens dansent, font la fête, chantent.

paris-haussmanLe Paris d'Haussman © Wikimedia


Comment le bruit a t-il évolué ? 

Dès la fin du XVIIIe après la Révolution, Paris devient nettement moins bruyant, notamment grâce à l’apparition des manufactures. Les ateliers ferment, et les abattoirs disparaissent du Paris intramuros.

La métamorphose de l’espace public engendrée par Haussmann en 1852 va considérablement changer les choses. « Toutes les petites rues sont élargies en grandes avenues, il n’y a plus cette atmosphère, les gens seront dans des manufactures, puis plus tard dans des usines », explique Arlette. Les progrès techniques et en termes d'hygiène changent aussi les rythmes sonores de la ville.

Que répondre aux gens qui se plaignent du bruit à Paris aujourd’hui ? « Qu’ils vivent avec ça ! », lance l'historienne, en ajoutant qu'il suffit de comparer avec la ville au XVIIIe et la force du bruit qui s'en dégageait. Sans oublier que même s’il y a des sons insupportables, il y a aussi « de très belles choses, comme le fait que chaque marchand ambulant ait sa propre mélodie pour se faire reconnaître dans ce brouhaha ». Quant à Mylène, elle évoque le son incroyable de « la forge à trois marteaux où des hommes forgent un fer à cheval à trois, sans parler du fait qu'ils se donnent des ordres au bruit du marteau. » Un son enterré à tout jamais dans le Paris d'antan.