Le débat sur la légalisation du cannabis revient de manière récurrente en France. Et ce débat est d’autant plus important quand on sait que nous sommes l'un des pays où on fume le plus de cannabis en Europe, tout en étant un des pays avec les lois les plus répressives en la matière. Parce qu'il est toujours difficile de trancher, on a demandé à des experts de nous exposer quelques-uns de leurs arguments, qu'ils soient pour ou contre. A vous de juger !
Les arguments pour
La prohibition coûte très chère et enrichit les criminels
Dans son ouvrage De l’intérêt de sortir le cannabis des réseaux criminels. Pour une régulation d’un marché légal du cannabis, l’économiste Christian Ben Lakhdar explique que dans les coûts induits par le cannabis, ce sont « les pratiques de répression et d’emprisonnement qui coûtent le plus cher, loin devant les pratiques de prise en charge ou de prévention, et encore plus loin devant le coût induit par les pathologies liées au cannabis ». Selon lui : « Cela pose le grave problème d’un épuisement des forces de l’ordre et d’un engorgement des tribunaux ».
De son côté The Economist, dans un de ses articles publié en février 2016 en faveur de la légalisation, va encore plus loin en affirmant que : « Légaliser le cannabis priverait le crime organisé de sa plus grande source de revenu, tout en protégeant les consommateurs qui deviendraient des honnêtes citoyens ».
A ce titre, la France pourrait par exemple s'inspirer de l'Uruguay, qui a mené une légalisation sous le contrôle de l'État avec la mise en place d'une instance publique chargée de la production et de la distribution du cannabis. C'est en tout cas la thèse défendue par Christian Ben Lakhdar : « Cette instance devrait le proposer à un prix et à une qualité identiques à ceux du marché actuel. C’est le seul moyen d’avoir un produit concurrentiel et d’assécher les marchés criminels ».
La prohibition invite à la transgression
Autre argument avancé par les défenseurs de la légalisation : l'absence d'effets bénéfiques de l'interdiction sur la consommation. « Le fait d’interdire la consommation n’a pas d’effet sur la quantité de consommation », affirme la psychiatre Béatrice Stambul, une des signataires de l'appel demandant la légalisation contrôlée du cannabis en janvier dernier. « Au contraire, cela pourrait même être une sorte d’attractivité supplémentaire, les jeunes recherchent la limite, la transgression », explique-t-elle.
L’argument de la liberté
Un autre argument, plus philosophique cette fois-ci, vient pointer le bout de son nez : quid de nos droits ? « Les gens qui consomment des drogues sont très stigmatisés ; pourquoi le fait de consommer de la drogue devrait être réprimandé ? » demande le Dr Stambul. « Les humains consomment tout un tas de trucs depuis l’origine de l’humanité, certains sont interdits (pas forcément les plus dangereux), d’autres pas, il y a une espèce de chape morale qui pèse sur ceux qui consomment de la drogue ou même de l’alcool », explique-t-elle...
... et de finir par conclure « Je pense qu’un jour on reconnaîtra que c’est une liberté privée comme d’autres. Je crois qu’un jour on prendra la question des drogues comme faisant partie de la nature humaine, que les humains aiment bien se mettre la tête à l’envers, et que plutôt de les punir parce qu’ils font ça, on les aidera à ne pas se tuer en le faisant. »
Les arguments contre
Légalisation = incitation à consommer
« On a très peur que si le cannabis est légalisé, ce soit une incitation à consommer », nous explique Danièle Jourdain-Menninger, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). « On a envoyé une mission d’experts aux US pour voir comment ça se passe dans ces Etats où le cannabis a été légalisé et pour essayer de voir si ça permet d’une part de moins en consommer et d’autres part de lutter contre le trafic. Pour le moment les résultats sont très partiels et on ne peut donc pas en tirer de conclusion », concède Danièle. La mission espère obtenir les résultats de ces expertises d’ici le mois de juin prochain.
Tout miser sur la prévention
Même si le taux de personnes qui consomment en France est très élevé – 17 millions de Français ont déjà fumé du cannabis au moins une fois dans leur vie, selon une étude de l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) de 2015 –, « la consommation s’est stabilisée », note Danièle, et ce « grâce à la prévention ».
Plutôt que de légaliser, l’idée serait de faire comme au Portugal (le premier pays européen à dépénaliser la consommation de toutes les drogues en 2001, ndlr), c'est-à-dire de miser sur les soins plutôt que sur la prison, qu’il s’agisse de consommation ou de détention de cannabis. « Nous sommes contre la prison pour usage, et ce qu’on pense c’est qu’il faut se donner tous les moyens pour mettre en œuvre une prévention bien adaptée aux jeunes », a-t-elle précisé.
Les méfaits pour la santé
Un des arguments phares contre la légalisation du cannabis tient évidemment au fait qu'en consommer peut avoir des effets néfastes pour la santé. D'une part, fumer de l'herbe augmenterait les chances d’avoir un cancer. « La fumée du cannabis contenant plus de substances cancérigènes que celle du tabac, elle est donc toxique pour le système respiratoire et peut favoriser le cancer de la gorge », explique le site drogues info service.
Par ailleurs, même si le risque de dépendance est moins important qu’avec l’alcool ou la cigarette, le cannabis peut créer une dépendance psychologique caractérisée par une envie irrépressible, un manque et une perte de contrôle chez « 3% environ des consommateurs », selon le Pr Michel Reynaud, Président du fonds Actions Addictions.
La consommation de cannabis peut se révéler être particulièrement néfaste à l’adolescence car il freinerait le développement cérébral. « La consommation du cannabis récréatif chez les jeunes dont le cerveau est en maturation peut avoir des effets qui peuvent être dangereux et cela peut aller jusqu’à la schizophrénie avant 25 ans », renchérit Danièle Jourdain-Menninger.
Ce que changerait une légalisation du cannabis
Selon une étude menée en France par le think tank Terra Nova en 2014, « un cadre moins répressif pourrait limiter la consommation et rapporter près de 2 milliards d’euros par an à l’Etat ». Les auteurs de ce rapport ont étudié trois scénarios susceptibles de permettre l'obtention de meilleurs résultats que ceux de la répression actuelle.
Le Monde a détaillé ces trois alternatives établies par ces économistes dans l'infographie suivante.
Et vous qu'en pensez-vous ?
On est allé demander aux Parisiens ce qu'ils pensaient, eux, d'une potentielle légalisation !