Ces dernières semaines, elle écume les interviews. Entre plateaux TV et émissions radio, Victoire Maçon Dauxerre fait la promotion de son bouquin, "Jamais assez maigre". Le titre est explicite vous ne trouvez pas ? Et étant donné qu'on avait en tête de faire un papier sur les porte-manteaux de la fashion week, ça tombait à pic pour alimenter notre coup de gueule de la semaine.
Ne vous méprenez pas, on ne vise pas les mannequins qui triment pour percer, on ne dénigre pas leur métier et encore moins leur abnégation pour exister dans un milieu dévorant, où le culte de la beauté aspire les âmes et les ronge jusqu'à la moelle pour ne laisser que les os. Le culte de la mode est un monstre sadique qui enchaîne depuis des décennies les corps de la société dans son ensemble, les soumettant sans vergogne au régime du manque. Du moins. De l'abnégation de soi et de sa féminité. D'un côté, on salue l'effacement des genres dans ce qu'ils comprend de plus positif : l'acceptation de la différence, de l'Autre, la remise en cause du système dual de genre et l'effacement de ses codes pour mieux gommer les discriminations. Mais dans la course à l'androgynie généralisée dictée par les créateurs de mode, on a flouté les contours de la féminité à tel point qu'on en arriverait à nier son existence, à la sacrifier à coups de régimes, pour qu'enfin, sa sexualité finisse par totalement disparaître. Ici, il ne s'agit pas de dire que la femme est un homme comme les autres. Non, la femme est un cintre comme un autre. C'est un portant, un objet, un cintre.
Ces vingt dernières années, la moyenne affichée sur la balance semble avoir perdu une dizaine de kilos à ce petit jeu. C'est ce qu'on en a déduit en faisant un inventaire (non exhaustif) des mensurations citées dans les médias pour des mannequins comme Daria Strokous ou Melissa Stasiuk qui, du haut de leur mètre 80, affichent - de 55 kgs au compteur de leur balance. Hallucinant. En fouillant la toile, on a aussi retrouvé la trace d'Agnes Hedengard, la mannequin ''trop grosse'' de 57 kilos pour 1,80 m qui a posté une vidéo sur YouTube pour dénoncer ce diktat. A vomir, dans tous les sens du terme. Victoire Maçon Dauxerre elle, raconte dans son livre comment un photographe l'a retouché sur Photoshop pour lui rendre les kilos qu'elle n'avait pas le droit de prendre.
Elle est repéré quand elle a 17 ans. Elle pèse alors 56 kgs pour 1,80 mètres. Dès ses premiers rendez-vous, on lui assure son potentiel en tant que mannequin, mais il faudra perdre du poids. "Il faut que tu rentres dans du 32" lui dit-on. En bonne élève, elle s'applique. Elle remplace ses trois repas par trois pommes, remplit le contrat et prend des laxatifs au moindre écart, avant de commencer à se faire vomir. Quelques mois plus tard elle arpente les podiums du monde entier. Manger est devenu un échec. Elle entre dans le top 20 des mannequins qu'on s'arrache. Estimée pour son corps maladivement maigre, déçue du milieu, elle décide d'arrêter. Mais il est trop tard. Tout le monde a fait semblant d'ignorer qu'elle était devenue anorexique, elle se sent prise au piège, s'en veut d'avoir été dupe. Six mois après avoir démarré sa prometteuse carrière, elle fait une tentative de suicide.
Au-delà des podiums, les désordres psychologiques et alimentaires de certaines femmes peuvent-ils être imputables à cette image maladive de la femme promue par la mode ? En partie oui, sans aucun doute. L'anorexie mentale touche environ 1,5% des femmes de 15 à 35 ans en France - soit 30 à 40 000 personnes - et frappe de plus en plus tôt. Il aura fallu la mort d’une jeune femme pour que l'Espagne (ré)agisse et instaure une loi interdisant aux mannequins d’afficher un IMC inférieur à 18. Or dans la réalité, certaines mannequin descendent jusqu’à 15 ! Dans les vitrines des magasins aussi, la taille imposée est un 38… Et c’est un progrès. En France, on a attendu... Jusqu'au 17 décembre dernier. Dans le cadre du projet de loi santé, les députés ont (enfin) signé un texte pour imposer la délivrance d'un certificat médical attestant que « l’état de santé du mannequin, évalué notamment au regard de son indice de masse corporelle (IMC), est compatible avec l’exercice de son métier ». Toute infraction à cet article sera passible de six mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Une avancée que Victoire regarde avec espoir mais réserve.
Et le pire, c'est que la société entière y croit. Le feu des critiques récurrentes n'a pas éteint les projecteurs qui continuent d'attiser les rêves de gloire et de beauté rachitique de millions de jeunes presque-femmes. Mais comment peut-on faire de femmes si maladivement maigres des modèles de beauté pour la société ? Victoire Maçon Dauxerre elle, a sa petite idée : « au fond, les créateurs n'aiment pas les femmes. » Voilà la vérité. Car c’est une réduction considérable de l’image de la femme qui ne peut pas s’épanouir dans le corps qui devrait être le sien.
Si l'ex-mannequin qui aspire aujourd'hui à devenir actrice peut se permettre de dénoncer cette situation, il n'en va pas de même pour tout le monde. « Moi je peux me le permettre, j’en suis sortie, mais les magazines féminins survivent en grande partie grâce aux grandes marques de mode qui les financent… Ils ne peuvent pas dénoncer leurs pratiques » lâche-t-elle aux "Inrocks". “J’ai écrit ce livre pour toutes les jeunes filles et les femmes qui s’identifient à ça, et qui sont mal, complexées à cause de ce monde là, qu’elles idéalisent. Il faut déconstruire ce mythe, c’est dangereux” explique-t-elle au journal.
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Les 3 règles (sadiques) pour devenir un cintre parfait
1. Changer de lexique
On met au placard les mots "maigreur", "décharné", "squelettique", "cadavérique" qui ne figurent pas dans le vocabulaire usuel du milieu. Comme eux, on les remplace par "finesse", "minceur", "filiforme" ou "légère pâleur". Règle ultime : on ne prononce jamais, ô grand jamais, le mot "anorexie", tout au plus une pathologie réservée aux ados en mal d'identité.
2. Remplacer le Dalaï Lama par Karl Lagerfeld
On revoit la définition de la féminité. On vénère « une silhouette faite au moule, d’une étroitesse incroyable, avec des bras et des jambes interminables, un cou très long et une très petite tête » comme le dit si bien Karl. On se convainc qu'il a tout à fait raison, après tout, ce sont les « grosses bonnes femmes assises avec leur paquet de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont hideux » comme il dit.
3. Arrêter d'être une femme évidemment
1m80 pour 50 kilos maximum, un bon teint blafard et des os bien saillants, voilà qui devrait être la norme commune. Inutile de nous différencier corporellement des hommes, la féminité ne sert à rien, on doit servir la mode. La mode est un art et l'art se nourrit des extrêmes, l'art ne connaît pas de limites.
