Une jeune femme, lunettes de soleil et smartphone à la main, se filme dans les rues de Paris, face caméra. À première vue, ça ressemble à un simple vlog touristique. Mais dans la bouche de Savanah Hernandez, militante pro-Trump bien connue des réseaux américains, le ton est tout sauf léger : Paris serait une ville « assiégée », où l’on assiste à une « disparition de la culture française », rongée par l’insécurité et le « grand remplacement ».
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Dans sa vidéo postée fin septembre sur X, Savanah Hernandez compile des séquences tournées à la volée depuis une voiture ou à pied : Château-Rouge, les abords de Stalingrad, la gare du Nord, ou encore la rue du Faubourg-Saint-Denis. Des zones présentées comme des « no-go zones » où, selon elle, les femmes françaises « craignent d’être violées » et les migrants « règnent en maîtres ». Une vision ultra caricaturale, presque apocalyptique, qui a pourtant trouvé un large public : la vidéo affiche aujourd’hui plus de 6,6 millions de vues.
Ce coup de com’ viral ne tombe pas de nulle part. Il est orchestré par Turning Point USA (TPUSA), une organisation de droite radicale fondée en 2012 par Charlie Kirk, influenceur conservateur proche de Donald Trump, récemment assassiné. TPUSA est spécialisée dans la production de contenus destinés à une jeunesse trumpiste avide de récits simples, chocs, et très orientés politiquement. Paris n’est ici qu’un décor : ce qu’on vend ici, c’est une idéologie.
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Une stratégie bien rodée, avec des visées politiques très concrètes
Si cette vidéo s’adresse principalement à une audience américaine, son écho dépasse les frontières. Car cette mise en scène anxiogène de Paris pourrait aussi nourrir les récits de l’extrême droite française et européenne, à l’heure où les discours identitaires s’exportent très bien sur les réseaux sociaux.
Ce n’est pas la première fois que ce genre de fiction urbaine circule. En 2015, Fox News parlait déjà de « no-go zones » à Paris, cartes à l’appui, avant de présenter ses excuses. Mais le message, lui, reste le même : peindre une ville multiculturelle comme un territoire en déclin, incapable d’assurer sécurité et cohésion sociale. Une stratégie de « désinformation émotionnelle », selon Tristan Mendès France, spécialiste de l’extrémisme numérique. En d’autres termes : amplifier des problèmes réels, les extraire de leur contexte, et en faire une prophétie alarmiste. On est loin d'Emily in Paris.
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Sensationalisme et déshumanisation
Derrière les images sensationnalistes diffusées par certains influenceurs, une réalité bien plus complexe et tragique est passée sous silence : celle des personnes sans abri ou réfugiées, souvent réduites à un décor anxiogène ou, pire, à des figures menaçantes dans une rhétorique déshumanisante. Cette animalisation de la personne immigrée sert à alimenter des récits politiques fondés sur la peur, en occultant totalement les causes structurelles et les conditions de vie réelles de ces personnes.
Petit rappel en chiffres : en 2024, au moins 855 personnes sans abri sont mortes dans la rue en France. Ces personnes, dont une grande partie d'entre elles sont des migrants ou des demandeurs d’asile, vivent dans une précarité extrême, souvent exposées aux violences, au froid, à l’insécurité permanente. Pourtant, dans le même temps, 128 000 logements sont vacants à Paris, soit près de 9 % du parc immobilier. Parmi eux, 18 600 sont inoccupés depuis plus de deux ans, souvent pour des raisons de spéculation immobilière. Selon l’association humanitaire Utopia 56, il y aurait ainsi 36 fois plus de logements vides que de personnes à la rue dans la capitale. Face à ces chiffres, l’indignation sélective de certains contenus viraux, qui exploitent la misère pour nourrir une vision apocalyptique et xénophobe de la ville, apparaît non seulement malhonnête, mais dangereuse.
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Des Parisiens qui ne se laissent pas berner
De son côté, la Ville de Paris adopte de son côté une posture mesurée, entre lucidité et calme. Patrick Bloche, premier adjoint à la mairie de Paris, insiste sur la nécessité de rester vigilant sans sombrer dans le catastrophisme. Il met en garde contre les risques de manipulation à l’approche des élections municipales de 2026, qui auront lieu les 15 et 22 mars, tout en affichant sa confiance dans le lien solide entre les élus locaux et les citoyens. À ses yeux, les Parisiennes et Parisiens sont suffisamment ancrés dans leur réalité quotidienne pour ne pas se laisser berner par ces narratifs sensationnalistes venus de l’étranger.
En attendant, les vidéos anxiogènes sur Paris continuent de circuler, alimentant un imaginaire fantasmé bien loin du quotidien de ses habitants. Le danger, lui, est plus subtil : ces récits jouent sur les peurs, polarisent et fragilisent le débat démocratique, même à des milliers de kilomètres. Alors non, Paris n’est pas assiégée, mais la bataille de l’information, elle, est bel et bien lancée.
