« La France doit accepter de perdre ses enfants ». Ce mardi 18 novembre, le général Fabien Mandon, plus haut gradé de l’armée française, a lâché cette phrase glaçante devant les maires réunis à Paris.
Selon lui, la nation doit retrouver la « force d’âme » nécessaire et accepter de « souffrir économiquement » pour affronter un conflit majeur, notamment face à une Russie qu’il estime préparée pour 2030. Il exhorte ainsi les élus à « en parler dans vos communes » afin de préparer les esprits, encourager l’engagement citoyen et faciliter les entraînements puis l’installation des militaires dans leurs communes.
Voir cette publication sur Instagram
Un discours qui choque même parmi les politiques les plus modérés : comment préparer la population à un conflit quand le rôle d’un gouvernement devrait avant tout être de le prévenir ? Les Parisiens, habitués aux alertes politiques et sanitaires (vague d'attentats en 2015, Gilets Jaunes en 2018 et crise du Covid en 2020), mais jamais confrontés à la guerre, se retrouvent face à un message brutal : il faudra (peut-être) un jour accepter le pire.
La France doit accepter de "perdre ses enfants" : "Je m'interroge sur la portée du message" du chef d'Etat-major des Armées, réagit sur ICI Thierry Repentin, maire de Chambéry et ancien ministre des Affaires européennes, présent au Congrès des Maires #MaFrance @WendyBouchard24… pic.twitter.com/jgzUd4dqva
— ICI (@ici_officiel) November 20, 2025
Le guide de survie qui met la pression
Pour accompagner ces propos, le gouvernement a publié le 20 novembre le guide Tous responsables, 27 pages pour « préparer les Français à diverses crises », du conflit armé à la catastrophe nucléaire. Le manuel détaille un kit de survie pour 72 heures (eau, nourriture, médicaments, vêtements chauds, radio à piles, argent liquide) et insiste sur l’importance de reconnaître l’alerte et de rejoindre la réserve citoyenne.
Voir cette publication sur Instagram
Même si l’objectif officiel est pédagogique, le message est clair : la guerre est possible, et chacun doit y être préparé. À Paris, cette approche résonne difficilement : la ville n’a jamais été habituée à penser la survie en termes militaires, et la majorité des habitants n’a ni formation ni expérience pour affronter un conflit réel.
Un désaccord générationnel
Plusieurs sondages reflètent d'ailleurs cette inaptitude : alors sur l'ensemble du panel interrogé, une courte majorité (53%) est favorable au rétablissement du service militaire obligatoire, seuls 41 % des 18‑24 ans soutiennent une telle initiative, contre 63 % chez les plus de 60 ans, selon un sondage Ipsos-CESI Ecole d’ingénieurs paru le 16 mars 2025.
📊Selon un sondage Ipsos-CESI École d'ingénieurs, les Français se montrent en favorables au retour du service militaire (86%). Mais seuls 53% sont en faveur d’un service militaire obligatoire. Dans le détail, 32% seraient en faveur d’un service militaire obligatoire pour les… pic.twitter.com/UzUDtzC8dc
— L'Echiquier social (@EchiquierSocial) March 15, 2025
La jeunesse, celle qui serait directement concernée et mobilisée, rejette massivement cette idée (59%). Mais la fracture n’est pas seulement générationnelle : on observe dans ce même sondage que les catégories sociales favorisées y seraient plus favorables, tandis que les classes populaires, souvent privées de sécurité matérielle et d’avenir, craignent le risque pour elles-mêmes.
Autre indice de désengagement, à la question « Êtes-vous prêt à payer plus d’impôts pour augmenter le budget de la Défense à 5 % du PIB, au lieu des 2 % actuels ? » posée par l'insitut Cluster 17 dans un grande enquête en mai 2025 : 56 % répondent non, dont 30 % très défavorables.
🗳️📊 Sondage | Dans le contexte actuel, la question du financement de la défense nationale est plus pertinente que jamais.
— Le Revenu (@Le_Revenu) March 11, 2025
👉Êtes-vous prêts à participer au financement du budget de la défense de la France ?
Là encore, le clivage est net : les classes populaires et moyennes refusent massivement, tandis que les classes aisées se montrent plus ouvertes. Résultat : même lorsqu’on parle d’investissement militaire, la population refuse de mettre la main à la poche, signe qu’elle n’est pas prête à soutenir concrètement une politique de guerre. Pour rappel, 1,2 million de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans la métropole du Grand Paris, soit un taux de pauvreté plus élevé qu'en France métropolitaine : 18,3% contre 14,9%.
Voir cette publication sur Instagram
Une préparation loin de la réalité
Entre discours martiaux, guides officiels et manœuvres en ville, le fossé reste immense entre la vision de l’armée et le quotidien des Parisiens, même si cette dernière demeure largement soutenue par l'opinion. L’abandon récent du Service national universel (SNU) par Sébastien Lecornu, jugé trop coûteux et ingérable pour les armées, en est d'ailleurs la preuve la plus éclatante.
Le #SNU est une mascarade coûteuse. C'est potentiellement 2 milliards d'euros. Les faits et les témoignages montrent que l'encadrement n'est pas à la hauteur et que le SNU est parfois dangereux. @SVenetitay @SNESFSU sur @BFMTV 📺⬇️ pic.twitter.com/sm21MvGZ3U
— SNES-FSU (@SNESFSU) May 29, 2024
D'autant que nombre d'experts rappellent un fait simple : la France n’est pas prête. Ni matériellement, ni psychologiquement. Beaucoup de citoyens se demandent à quoi sert la dissuasion nucléaire si, en réalité, elle ne les protège pas et qu’on les prépare pourtant à accepter des sacrifices extrêmes.
Et si le véritable défi n’était pas seulement de préparer les Français à la guerre, mais de réfléchir à la manière d’éviter qu’elle n’ait jamais lieu ? Dans une ville comme Paris, entre inquiétudes citoyennes et discours militaires, la question reste entière.
