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Pourquoi a-t-on peur d\'être seuls ?

undefined undefined 14 juin 2018 undefined 16h53

undefined undefined 18 juin 2018 undefined 17h07

Manon Merrien-Joly

18 millions. En France, 18 des 67 millions d'individus sont célibataires*. Pourtant, en dépit de Tinder, Messenger, Whats App, les bons vieux SMS et tout ce qui s'ensuit, on arrive tout de même à se sentir parfois sacrément seuls. Et à contrecourant de l'hyperconnexion, ça nous fait peur. Mais pourquoi, si on peut "chatter" à foison comme aurait dit le vous de 2004, nous sentons-nous encore seuls et surtout, pourquoi avons-nous peur de cette solitude ?

La solitude touche tous les âges, de 13 à 113 ans. Plus précisément, le sentiment de solitude est ressenti d’avantage par les moins de 40 ans et les plus de 75 ans.  Aujourd’hui en France, cinq millions de personnes sont seules**, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de relations sociales, que ce soit sur le plan familial, professionnel, amical, ou encore de voisinage : un chiffre qui ne cesse de s’accroître (sans vouloir vous faire flipper non plus).

Ce qui est certain, c’est que les codes et modèles sociaux sont en pleine évolution, et que nous sommes les cobayes de cette période charnière : si certains optent pour le polyamour ou d’autres se marient avec des végétaux, plus globalement, nos relations évoluent jusqu’à la remise en question du couple traditionnel et nos rapports aux autres. La solitude et l’isolement sont des conséquences de ce bouleversement sociétal, et reflètent une angoisse qui touche n’importe qui.

Dans son spectacle de 2015 "Il faut que je vous parle", Blanche Gardin aborde ce sujet avec un cynisme et un sarcasme hyper affûtés : après s’être fait quitter par son conjoint, elle remet complètement ses croyances en question. Elle raille ceux qui l’invitent à "prendre soin d’elle, se chouchouter" rétorquant que oui, elle sera plus en forme "pour être malheureuse demain" et se projette "dans cinq ans, encore célibataire en train de revenir seule de chez Picard". "C’est anxiogène ce que je dis ?" lance-t-elle.


Solitude sociale, solitude amoureuse : quelles différences ?

En premier lieu, distinguons la solitude de l'isolement : le Larousse définit le sentiment de solitude comme "l’état de quelqu'un qui est seul momentanément ou habituellement" et l’isolement comme "l’état de quelqu'un qui vit isolé ou qui est moralement seul" : la question du choix et de la temporalité semblent alors s’imposer comme les principales différence entre ces deux états. La solitude est donc un état passager (choisi ou non) tandis que l'isolement s'inscrit dans une durée beaucoup plus longue. 

Le Bonbon a sollicité Sophie Guillot, psychologue et hypnothérapeute qui invite à distinguer la solitude dans son sens global de la solitude amoureuse qui constitue selon elle un ressenti, un sentiment. La spécialiste explique que la solitude sociale "serait plutôt la conséquence d’un contexte social et socio-économique qui amène certains individus à se retrouver seuls et/ou éloignés de leur proches et qui génèrent chez eux un vrai vide affectif, et donc un sentiment de solitude."

Ce qui rapproche les deux états, c’est le sentiment que la solitude est "subie" et génère ainsi de la souffrance "avec une sensation de ne pas avoir de pouvoir sur les relations : souvent, ça se traduira comme une sorte de rejet, d’impossibilité d’en sortir, comme une sorte de résignation apprise" observe-t-elle.

Pourtant, ce sentiment n’apparaît pas subitement dans un minuscule studio d’étudiant un samedi soir pluvieux après une rupture non-désirée : vous vous sentez seul ok, mais cet état est évidemment complètement naturel. Par contre, si vous ressentez de façon ponctuelle un profond sentiment de solitude, rembobinez un peu.

"La capacité à rester seuls se construit dès l’enfance" explique Laurie Hawkes, psychologue-clinicienne :

"Si l’enfant a bénéficié d’un attachement sécurisant et d’une confiance en ses capacités d’autonomie, il n’aura pas besoin d’être nourri par la reconnaissance – et la présence – de l’autre. Mais si ses désirs, ses peurs n’ont pas été entendus, alors surgira une impression d’abandon et d’insuffisance."

La solitude amoureuse, du célibat des prêtres aux médias féminins

Le célibat des prêtres date du 4e siècle. Au début simple recommandation du concile d’Elvire en Espagne, aux alentours de 310 ap. J-C, cette chasteté fut finalement rendue obligatoire par le concile de Latran en 1123. En ces temps qui nous paraissent aujourd’hui très (très) lointains, le sexe était parfois considéré comme impur, en tout cas profane et ne parlons même pas de l'acte de fornication. Du coup, on intimait au prêtre de renoncer aimer une personne en particulier, pour être vecteur de l’amour de Dieu. Pour tous les hommes et toutes les femmes, ne pas être marié permettait au prélat d’entièrement consacrer sa vie à Dieu, et non pas à son épouse ni à ses enfants. Autre explication du célibat des prêtres, si un curé n’a ni femme ni enfant, il n’a pas de descendance et à sa disparition, son héritage, aussi modeste soit-il, sera alors propriété de l’Église. Habile.

Aussi intéressante soit la question du célibat des prêtres, attachons-nous plutôt au célibat du quidam lambda au 21e siècle. Précisons ici que la solitude amoureuse, contrairement aux idées reçues ne désigne pas seulement le sentiment de solitude ressentie en l’absence d’un partenaire mais touche aussi les individus en couple. Si la religion catholique considérait (considère ?) qu'aimer une personne détourne l'esprit humain de tout autre forme d'accomplissement, le couple est-il réellement un but en soi, et constitue-t-il vraiment un rempart à la solitude ? 

"Nous avons des besoins d’amour, d’être aimé et d’être en "sécurité affective" analyse Sophie Guillot. "Or, ne pas se sentir aimé est une vraie blessure narcissique alors que se sentir aimé par une personne même quand on est loin d’elle nous rassure et peut nous permettre de nous sentir plus fort même en situation d’isolement." 

En couple, ladite blessure narcissique peut prendre une autre forme qui démontre que la solitude n’est pas l’apanage des célibataires : la thérapeute souligne que le sentiment concerne "ce que la personne ressent même quand elle est "entourée". C’est-à-dire qu’une personne peut vraiment se sentir seule en compagnie, vivant dans un groupe familial, de pairs ou encore en couple. Cet état se manifeste quand le partenaire ne semble pas être la personne idéale ou quand la personne "choisie" l’est  bien souvent par défaut, de peur d’être seul et qu’au final on ne quitte pas à cause de cette même peur" et ce, même si l’amour n’est plus au rendez-vous.

Si la plupart des magazines féminins regorge de dossiers "célibat" ou "solitude" faisant souvent la confusion entre les deux, les deux ne vont donc pas de paire : ce n’est pas parce que vous passez vos soirées chez votre mec/meuf que vous ne vous sentirez pas profondément seul pendant votre séance hebdomadaire de Netflix & Chill.

La solitude, état vital et constitutif de nos rapports à autrui

Frédéric Fanget, psychothérapeute comportementaliste conseille à ceux qui éprouvent régulièrement un sentiment de solitude de "plonger dans son malaise" en prenant le temps d’analyser ce qui se passe en nous, en évaluant nos émotions et en couchant sur le papier la nature des pensées négatives qui nous traversent. Plutot que de fuir, il invite à rechercher dans son passé "les situations de solitude qui ont provoqué tristesse et angoisse. Il s’agit de repérer l’empreinte émotionnelle, le schéma cognitif ancien qui se répète dans le présent."


Dans un deuxième temps, il s’agit pour lui de s’habituer progressivement à rester seul en se "forçant" à passer du temps avec soi-même pour écouter de la musique, chanter, peindre, lire un bon bouquin, et toutes les autres activités qui permettraient d’associer la solitude à une émotion positive. De quelques minutes, on s’habitue peu à peu à faire durer cet état et il est selon lui important de s’y atteler progressivement, au risque de renforcer la phobie. 

Nous avons peur d’être seuls du fait de nos besoins sociaux d'appartenance à un groupe, d'activités sociales, d'amour et d'amitié illustrait Maslow avec sa pyramide. Ce qu'il ne dit pas, c'est que la solitude est nécessaire à la construction de notre personnalité, notamment pour apprendre à l’apprivoiser seuls. En guise de conclusion, on se contentera de partager ces propos émis par le réalisateur Orson Welles : "On naît seul, on vit seul, on meurt seul. C'est seulement à travers l'amour et l'amitié que l'on peut créer l'illusion momentanée que nous ne sommes pas seuls". Autant qu'on apprenne à vivre seuls avec nous-mêmes, donc. 

**Insee.
** Enquête réalisée par l’institut TMO Régions, 2014.