« Je suis au bout de ma vie, on a des diners tous les soirs, on voit des gens même le week-end ! Je n’ai qu’une envie, c’est de passer une soirée sans voir personne. » Comme Tony, 42 ans, beaucoup ont repris un rythme de folie le 19 mai dernier, jour de la réouverture des terrasses. Terrasse par-ci, resto par-là... après un an et demi de crise, trois confinement et un couvre-feu qui n’en finissait plus, difficile aujourd’hui de refuser toute invitation à sortir. C’est simple : on veut en profiter, mais à quel prix ?
« Depuis le retour à la vie normale, je sors quasiment tous les soirs pour voir des potes ou juste boire un verre en terrasse pour décompresser, avoue Maria, 25 ans, consultante en communication. Je suis épuisée parce que je suis rarement chez moi sauf pour dormir, mais j'ai du mal à refuser une invitation pour un verre, un resto ou une soirée parce qu'on a attendu ce moment depuis si longtemps. Il y a une ébullition, les gens sont contents, il fait beau, on veut tous profiter au détriment de notre sommeil ! » Car le fait de confiner et de déconfiner à répétition donne cette impression d’être « mis en prison, puis libéré, puis remis en prison être libéré à nouveau, mais sous condition ». En résulte une envie de profiter au maximum d’une liberté accordée, de peur qu’elle soit de courte durée. Pour Léon, 30 ans, prof d'histoire, c’est là qu’arrivent les problèmes : depuis l’ouverture des terrasses, il ne dit plus jamais non à un verre ou à une soirée. « Je ne me pose plus une seconde, je suis donc constamment crevé ou alcoolisé. » Même son de cloche chez Éléonore, 32 ans, qui gère les ressources humaines d'une grande entreprise parisienne : « Ça fait 1 mois que tout a repris et mon corps a l'impression que tout a repris x100 000. Entre retrouvailles avec les potes qui étaient partis se confiner ailleurs, le retour au bureau et les collègues, l'envie de découvrir de nouveaux restos et expos, redécouvrir les coins de Paris qu'on avait oubliés et qui reprennent vie, l'été et l'ambiance festive générale chaque putain de soir de la semaine, c'est comme si on vivait les 12 mois qu'on a perdus en accéléré. Vais-je clamser dans 3 minutes ? Probablement. Live fast, die young, comme on dit ! »
Autre facteur de fatigue : la reprise de l’activité à temps plein et en présentiel, après une année et demi à alterner entre chômage partiel et télétravail. « Ce temps partiel me laissait du temps la semaine pour faire les petites choses administratives, continue Léon. Pour m’occuper de moi, de mon appartement, pour flâner, bouquiner. Depuis la reprise à temps plein, je n’ai plus le temps de rien, d’un coup d’un seul on repasse à des journées et des semaines ultra longues et intenses, un rythme dont j’avais totalement perdu l’habitude. Et pour ne rien arranger, je détruis mon compte en banque à coup de resto et de conso. Bref, j’avoue que la slow life me manque un peu… »
« On est assoiffés de découvertes, ça donne un craquage général un peu plus jouissif »
Ce nouveau rythme diffère-t-il réellement de l’ancien ? « C’est exactement comme avant, simplement tout s’est fait d’un coup et on s’était bien habitués à vivre au ralenti, le corps n’est plus habitué », analyse Maria. Éléonore, elle, ne voit plus Paris de la même manière : « Peut-être que ce n'est qu'une illusion, mais j'ai quand même l'impression que Paris a beaucoup changé avec les fermetures de certains lieux et la réouverture d'autres, on est assoiffés de découvertes. Le fait de savoir que tout le monde est un peu dans le même état rend le craquage général un peu plus jouissif. »
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À la soif d’aventure s’ajoute le FOMO (Fear of Missing Out), ou la peur de rater un événement important après un an de vie ralentie. Maria n’ose plus dire non : « Je sortais beaucoup avant la crise sanitaire mais j'avais plus de facilité à refuser des soirées pour me reposer. Maintenant qu'on peut retrouver ce rythme qui nous a tant manqué j'ai peur de rater des moments incroyables avec mes potes ». « Peut-être aussi que la pandémie fait qu'on a plus envie de profiter de la vie, dans le doute d'une 4e vague », analyse Éléonore.
« Après une semaine de sortie, je passe une autre semaine léthargique, à avoir moins envie de sociabiliser »
Autant de facteurs qui ont une influence sur notre vie quotidienne. Au travail, les matinées de Maria sont plus difficiles. « Je mets plus de temps à mettre la machine en route, mon cerveau est embrumé, j'ai moins les idées claires, je suis moins créative mais je sais que tout va rentrer dans l'ordre avec un peu de repos. » Dans son cas, la cadence influe également sur sa santé fragile. « Mes problèmes de santé empirent parce que je n'ai pas laissé mon corps se reposer et que l'alcool quand tes organes sont pas en forme c'est pas le top. Alors je me force à me calmer. » Car les nuits affectent forcément les jours. « Après une semaine intensive de sortie, je passe la semaine d'après à me retrouver léthargique, à avoir moins envie de sociabiliser, confie Éléonore. J’en viens même à trouver les autres énervants. Parfois je n'ai qu'une envie, c'est d'avoir moins d'options et avoir une bonne excuse pour me retrouver à squatter mon lit et la télé quelques soirs par semaine. Genre vivement l'orage et la pluie. » Rien de tel qu’un peu de repos et d’écoute de soi pour recharger ses batteries… Avant la prochaine soirée.
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