Le 14 octobre 2016, la première salle de shoot ouvrait à Paris dans le 10e. Et le combat a été âpre pour y parvenir. Aujourd’hui, ce lieu accueille en moyenne 200 toxicomanes par jour. Comment fonctionne-t-elle ? Les craintes des riverains sont-elles encore d’actualité et quelles premières conclusions peut-on tirer de ces douze premiers mois ? Plongée opiacée encadrée, au 14, rue Ambroise Paré.
Crack, méthadone, Skenan, Subutex, héroïne : autant de produits que peuvent venir s’injecter les toxicomanes dans cette salle de consommation à moindre risque (SCMR). « Nous ouvrons un espace à destination des personnes qui s'injectent des drogues et qui sont marginalisées, exclues », expliquait Marisol Touraine à l’inauguration de la salle de shoot. A l’époque, beaucoup de riverains s’inquiètent des débordements que pourrait entrainer l’installation de cette salle. Qu’en est-il aujourd’hui et comment fonctionne ce lieu géré par l’association Gaïa ?
Le parcours du toxicomane
Dans son décor nécessairement aseptisé, la SCMR de 400 m2 accueille tous les jours de la semaine de 13h30 à 20h30 au moins 200 toxicomanes. Depuis l’ouverture le 14 octobre 2016, 800 personnes sont inscrites à la salle. Pour Elisabeth Avril, la directrice de l’association Gaïa-Paris : « La plupart des gens qui viennent ici étaient des consommateurs de rue. En étant ouverte seulement 7 heures par jour, ils continuent forcément à consommer dans la rue le matin et après la fermeture de la salle. » Elle estime que ce lieu empêche 24 000 consommations dans l’espace public.
Quand le toxicomane arrive à la salle de shoot, il commence d’abord par donner son nom et sa date de naissance. Ses papiers ne lui sont pas demandés sauf si un doute plane sur son âge. Les mineurs injecteurs ne sont pas autorisés. L’usager signe un contrat et, comme chez le boucher, reçoit un ticket pour attendre son tour. « Ils doivent montrer leurs produits à l’entrée, c’est obligatoire. L’idée est de savoir ce qu’ils vont consommer, pour pouvoir réagir s’il y a un problème », souligne Céline Debaulieu, coordinatrice au sein de l’association. Une fois dans la salle de consommation, premier obligation : se laver les mains. Un kit de shoot sur un plateau en métal les attend.
Salle de shoot : la notice
Douze postes pour l’injection et quatre postes pour l’inhalation sont disponibles. Les toxicomanes ont alors 20 minutes pour consommer leur produit. « On peut aider à poser un garrot, rechercher une veine, mais on n’accompagne pas le geste, on ne touche pas à la seringue », précisent les équipes.
Sur place, il y a toujours au moins un soignant présent : infirmier ou médecin. Ils surveillent de près ceux qui s’enfoncent un peu trop. Mais côté incident, la salle de shoot ne relève depuis un an qu’une vingtaine d’appels internes d’urgence à Lariboisière. Les éducateurs et infirmiers sont tous formés pour gérer les débordements que peuvent entrainer des toxicomanes en difficulté. « Ça peut être lié à une surconsommation ou à une consommation après un sevrage ou une sortie de prison : la tolérance n’est plus la même », ajoute Céline. L’association est aussi équipée d’une salle de repos pour permettre aux usagers, souvent dans une grande précarité sociale, de dormir un peu. Ils peuvent aussi parler à une assistance sociale et participer à des activités collectives.
Le Labofabrik : un espace de créativité dédié aux toxicomanes
Béatrice Dalesky, touche-à-tout, est aux manettes d’un atelier créatif qui permet aux usagers de fabriquer un tas de beaux objets à partir de matériaux de récupération. Lampes en bidon de méthadone, boîte à cigares transformée en ukulélé, sacs à base de manches de veste et de cravates : Béatrice a créé un bric à brac magique digne d’un décor de Jean-Pierre Jeunet. Ici, les consommateurs de drogues dures peuvent laisser aller leur créativité. « Ils font même de la couture. Bon, comme ils n’aiment pas trop rester assis, ils cousent debout, mais on s’habitue » raconte-t-elle, souriante. « On crée de jolis objets qu’on vend et dont ils peuvent être fiers. C’est important pour l’estime de soi, ça débloque des choses. » Le Labofabrik a également pour but de créer un lien social et de réinsérer les toxicomanes dans un travail, un projet. Toutes ces actions ont-elles un impact sur la réinsertion des visiteurs de la salle de shoot dans le quartier ?
Un an après : un bilan mitigé
"La salle de shoot Gare du Nord (Paris) doit déménager !" : c’est le nom sans équivoque d’une pétition lancée par un collectif d’habitants du quartier de Gare du Nord et de Saint-Vincent-de-Paul. Leur exigence est clairement affichée : « le déménagement de la salle de shoot dans une zone sans habitations ni commerces à proximité, comme c’est le cas à Stasbourg et comme ils l’avaient demandé dès le départ. » Si la pétition n’a recueilli que 366 soutiens, elle pose la question de la nuisance du lieu dans le quartier.
« Il y a un noyau de personnes qui ne veulent pas que ça existe devant chez eux. Mais quoi qu’il arrive, les gens ne disparaissent pas. Il n’y a pas eu de révolution, on les connaît tous, c’est juste que la salle les rend encore plus visibles, les murs, ça fixe quelque chose, forcément », déplore Céline Debaulieu. Les membres du collectif anti-salle de shoot publient sur les réseaux sociaux bon nombre de vidéos de bagarres et de consommation de drogues dans les rues. Des scènes choquantes qui font partie selon eux de leur quotidien.
La gare du Nord est ce qu’on appelle une "scène ouverte", un lieu où la consommation de drogues est l’une des plus importantes sur Paris. Un lieu de traffic aussi. Les toxicos occupaient déjà les rues avant l’implantation de la salle de shoot. Jamel, éducateur à l'association Gaïa, ne comprend pas la volonté de vouloir déplacer la salle : « Ça fait 10 ans que je bosse dans les associations du quartier, ça a toujours été comme ça. La salle de shoot n’a rien changé. Mais au lieu de consommer dans les toilettes, dans la rue, n’importe comment dans des conditions sanitaires terribles, ils sont encadrés, peuvent parler de ce qui leur arrive, on peut les orienter. Si on déménage, on ne fera que déplacer le problème. »
Pour Bastien, habitant de la rue Ambroise-Paré depuis 6 ans, la rue est toujours aussi dangereuse et le centre n’a rien changé, mais au contraire ramené du monde. « J’ai vu des mecs se battre à coups de hache quand même, c’est violent… » Même si ce trentenaire salue la démarche et aide quand il peut les toxicomanes de sa rue, il déplore le choix du lieu : « le fait que ce soit ici, ça me pose des problèmes moraux, ça entérine le quartier comme une zone de toxicos. Pourquoi ne pas l’avoir installé dans un endroit moins résidentiel, il y a des gosses partout ici… » En face de la salle de shoot, le serveur du Magenta tempère : « ceux qui veulent la fermeture de la salle, c’est qu’ils n’ont pas l’habitude c’est tout. Ils sont là, il faut bien faire avec, ça n’a rien changé. »
Des avancées visibles
On a beau arpenter la rue Ambroise-Paré de long en large, on ne trouve aucune trace de seringues. « Avant, on en trouvait partout », confirme Bastien. Tous les mardis et jeudis, l’association Gaïa organise des maraudes pour regarder s’il y a du matériel par terre, des cannettes de bière ou autres. En mars, six mois après l’ouverture de la salle, la Mairie avait annoncé une baisse de 60% des seringues retrouvées dans la rue. L’association va aussi à la rencontre des usagers, des personnes qui consomment dans la rue mais qui ne connaissent pas encore la salle.
Message inscrit dans la salle de repos de la salle de shoot
Une ligne téléphonique pour les riverains a également été mise en place pour répondre aux interrogations ou bien signaler quelqu’un en détresse. Depuis son ouverture, la fréquentation de la salle a permis de réaliser 123 dépistages de maladies infectieuses (VIH, hépatites). Le comité de voisinage, mis en place pour répondre aux préoccupations des riverains, s'est réuni sept fois. Et 324 usagers ont été reçus pour des entretiens sociaux. Si la question des nuisances est toujours au cœur du quartier, l’ouverture d’autres SCRM pourrait bien diminuer le flux d’usagers. Ouvrir de nouvelles salles de shoot, c’est ce que souhaite en tout cas le maire du 10e Rémi Féraud, soutien inconditionnel du projet.