Depuis le week-end, impossible de rater la façade du BHV Marais. Sur trois étages, trône une photo en noir et blanc de Frédéric Merlin, patron de la Société des Grands Magasins (SGM) et propriétaire du BHV, aux côtés de Donald Tang, président exécutif de Shein. Entre eux, un chien et un message ironique : « L’affiche qu’on n’aurait pas dû faire ». Le ton est donné.
Derrière cette image monumentale, une opération de communication savamment calculée pour assumer un partenariat qui divise. À partir du 5 novembre, le géant chinois de l’ultra fast fashion ouvrira un espace de 1 200 m2 au cœur du grand magasin parisien. Une arrivée très médiatisée, autant pour ses promesses commerciales que pour les critiques qu’elle cristallise.
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Un partenariat qui s’affiche, au sens propre
Les passants, eux, restent dubitatifs. Beaucoup ne reconnaissent pas les deux visages affichés. Pour certains, cette campagne tient plus de l’égotrip que d’une vraie stratégie de marque. Pour d’autres, elle cible moins le grand public que les politiques et les acteurs du secteur, en guise de pied de nez à ceux qui avaient dénoncé ce partenariat jugé indécent.
Difficile de ne pas y voir une provocation. Depuis l’annonce du partenariat entre SGM et Shein, les critiques s’enchaînent : conditions de travail des fournisseurs, empreinte écologique, optimisation fiscale... La pétition lancée par le collectif « Une autre mode est possible » a dépassé les 110 000 signatures. Et la polémique a pris une tournure encore plus sombre ces derniers jours, après la découverte sur le site de Shein de produits à caractère pédocriminel, signalés par la répression des fraudes.
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Provocation assumée ou humour de mauvais goût ?
Malgré ce contexte explosif, SGM semble vouloir maintenir son cap, affichant son alliance avec un ton ironique, presque bravache. L’idée serait de « casser les codes » d’un commerce en crise, de redonner au BHV une visibilité qu’il avait perdue. Mais le pari pourrait s’avérer risqué : l’image d’un grand magasin historique parisien associé à l’un des symboles les plus décriés de la fast fashion passe difficilement auprès d’une partie du public.
Le choix du noir et blanc, du slogan provocateur et du timing, en plein week-end de la Toussaint, donne à cette campagne une tonalité ambivalente. Certains y voient une touche d’humour noir, d’autres un signe de déconnexion totale avec les préoccupations actuelles.
Un coup marketing à double tranchant
Au-delà de l’affiche, l’opération commerciale prévue pour l’ouverture vise à attirer les curieux : les achats réalisés chez Shein seront intégralement remboursés en bons d’achat à utiliser dans le reste du magasin. Une stratégie qui cherche à faire d’une polémique un tremplin, en capitalisant sur la curiosité et sur le pouvoir d’achat.
Mais derrière l’agitation marketing, le malaise reste palpable. Plusieurs enseignes du BHV envisagent déjà de quitter les lieux, et la mairie de Paris ne cache pas sa désapprobation. À quelques mètres, depuis les fenêtres de l’Hôtel de Ville, les élus peuvent d’ailleurs contempler la fameuse affiche, symbole involontaire d’un bras de fer entre commerce et conscience écologique.
Le 5 novembre, le corner Shein ouvrira bien ses portes, malgré la pétition, les menaces de boycott et les enquêtes en cours. Reste à savoir si ce pari de la provocation servira le grand magasin ou s’il ne fera que renforcer la défiance envers une marque déjà perçue comme l’un des visages les plus controversés de la mode mondiale.
