Qu'il lève la main, celui qui n'a jamais fréquenté les laveries parisiennes.. Qu'ils sortent des rangs, les habitués de la dosette adoucissante ! Ô, toi, Parisien étudiant et charmant, bien que maintenant tu aies peut-être le luxe de laver ton linge en privé, rappelle-toi, oui, rappelle-toi...
Invisibles pour le pressé, redondantes pour l'affairé et agaçantes pour le chômeur qui toise d'un air méchant ces machines lui rappelant le superflu de sa main d'œuvre : triste sort que celui des laveries parisiennes... Pire encore, leur mauvaise réputation est même alimentée par des fait divers on ne peut plus lugubres. L'été 1995 par exemple, Lavomatix dans le 16e était à l'origine de 25 intoxications, dont une mortelle. Plus récemment, un gang de Roumains en terrorisait les utilisateurs au chalumeau. Les laveries, nouveau spot du crime organisé ?
Trêve de plaisanterie, en réalité, une aprem typique (oui, il faut y consacrer l'aprem) à la laverie est vraiment chiante, bien qu'agrémentée de la décision existentielle : rester, ou ne pas rester ? Le dilemme est de taille. Pèsent dans la balance deux longues heures de lavage-essorage-séchage-re-séchage, contre le risque de se faire voler ses précieuses petites culottes faisant la ronde sans surveillance dans le tambour d'une Miele 6 kg à Barbès. D'un côté, si on vaque à nos occupations pendant le cycle, toute activité entreprise hors laverie sera teintée d'une auréole de stress concernant ces fameuses petites culottes. Puis soudainement interrompue par la fin du cycle séchant. Pas terrible.
Mais, d'un autre côté, si on reste, c'est l'ennui assuré. Vraiment ?
En réalité, dans une laverie, on est aux premières loges pour écouter les péripéties divaguantes des sans-abris ayant trouvé auspice en ce lieu chaud, alors qu'ils expliquent comment leur copine a un chat qui fait pipi dans ses toilettes (à elle) en grimpant sur la cuvette. On est au garde-à-vous pour goûter aux infos larguées par les étudiants, lycéens et mères de famille nombreuse, tous autant en quête d'efficacité que de potins. On a terriblement envie de twitter leurs punchlines, mais on se sent un peu comme à une after-party chez des nouveaux potes, intégré dans le quartier. En un cycle à 30 degrés avec essorage, on est calé sur toute l'info culture, socio et éco du coin.
Mais, à chaque laverie son délire. Dans le 18e arrondissement, il y a presque autant de laveries qu'il y a de marches pour grimper jusqu'au Sacré-Cœur. Thermomètre d'un quartier, échantillon d'une populace et lieu de rencontres, les laveries automatiques de Paris ont toutes une histoire à raconter. Alors, cher Parisien, chère Parisienne du 18e, si tu ignores la laverie qu'il te faut, voici un petit descriptif des plus remarquables d'entre elles. Il est grand temps de rétablir la justice, et de rendre aux laveries une réputation digne de ce nom. Bonne lessive, et te fais pas carotter tes strings !
Photo de couv' : ©Lori Nix
L'indifférente
Le 122, rue Custine n'est pas un endroit où l'on perd son temps. La vingtaine de machines au garde-à-vous dans cette petite salle donnant sur une rue passagère sont efficaces, propres et libres la plupart du temps. Les distributeurs de produit lavant et autres dérivés sont pleins, les bacs à rangement sont vides et les sièges d'attente sont à pourvoir. Non, le 122, rue Custine n'est pas un endroit où l'on perd son temps. C'est un véritable hall de gare, où drapé d'un masque incognito, chacun peut venir se plonger dans cette odeur de piscine municipale et fréquenter sa soupline à la lavande en toute tranquillité.
Laverie Libre-Service 122, rue Custine - 18e
La low-coast
Il semblerait qu'un sans-abri ait établi son domicile fixe en ce miteux libre-service. Occupant sa voiture plantée devant la vitrine pendant la nuit, c'est au petit matin qu'il s'empresse de retourner au chaud, bercé par le bruit des tambours électriques et les odeurs de capsules détachantes. Bien que parfois dérangé par les collégiens d'à côté, en heure d'étude, qui établissent eux aussi salon en ce lieu, ce solitaire aimable et heureux veille sur les lieux. À ce propos, venez équipé. Le distributeur de liquide est rarement plein et les doses sont libérées au petit bonheur la chance, même après insertion de la précieuse monnaie. C'est cependant le lieu qui traduit le mieux la mixité sociale du quartier et qui transforme magiquement une nécessité rébarbative en un rituel rempli de gaité et d'anecdotes sulfureuses.
Libre-Service Laverie Rue du Baigneur - 18e
La bobo
Seule laverie du quartier à posséder un nom, elle est coincée entre un barbier bio ultra-hipster et la bibliothèque Sabatier, où se pressent les thésards en quête de vérité. Ce libre-service bobo présente un intérieur tout en bois style nordique et dispose d'un large espace agrémenté de grandes tables communales. Parmi les étudiants branchés et jeunes mamans stylées, on distingue des machines rutilantes comprenant notamment la super-puissante Miele 16 kg, une pièce unique dans le quartier. Cette laverie est presque un sans-faute : échantillons de liquide bio, prises électriques pour recharger ses appareils électroniques entre deux séries de sèche-linge, devanture rétro... il manque seulement un tatoué, bonnet vissé sur le crâne, qui sert des lattés d'un air nonchalant. Et le tour serait joué.
Le Lavoir Rue Hermel - 18e
Et pour les malheureux qui ont une machine à laver et ne peuvent pas aller s'ambiancer dans le 18e tout un aprèm, profitez quand même du côté trendy des laveries en allant boire un verre au bar Lavomatic.