Tous ceux qui, comme nous, on dévoré le livre d’Olivier Bourdeaut, se sont demandé comment il serait possible d’adapter ce merveilleux roman. Eh bien Victoire Berger-Perrin a réussi cet exploit, avec une subtilité et une poésie bluffantes. L'une des grandes pièces de ce début d’année.
C’est l’histoire d’un couple et de leur fils unique qui avaient décidé que la vie serait forcément belle, folle et débordante. Il y a ces deux amoureux qui se rencontrent en s’inventant des vies mutuelles, qui rêvent de se surprendre littéralement tous les jours. Le père a promis à la mère d’aimer toutes les femmes qu’elle serait et d’ailleurs, il lui donne un prénom différent tous les jours. Car sa femme est fantasque, unique et ne voit la vie que comme une bulle de Champagne qui doit exploser puissamment en bouche ou ne pas être.
Le petit garçon, lui, manque l’école pour voir le printemps en Espagne, apprendre à trinquer, chanter, danser. La danse, d’ailleurs, est au centre de cette fable familiale qui touche en plein cœur puisque Mr Bojangles, titre ô combien sublime de Nina Simone, accompagne leurs ballets permanents à la fois euphorisants et tragiques.

Car derrière le masque flamboyant d’une femme hors du commun se cachent des démons profonds, que le père et le fils ne cesseront de repousser de toutes leurs forces ; usant des ruses les plus dingues pour colorer sa vie et rendre réelles ses aventures les plus délirantes. On pense bien sûr à La Vie est belle ou La Vie devant soi. Toutes ces œuvres qui mettent un coup de tête à la fatalité, qui font d’une ombre au tableau la lumière qui sert une épopée poétique et libertaire.

La mise en scène est à l’image du livre d’Olivier Bourdeaut, légère et raffinée. On rit beaucoup, souvent avec retenue, en attendant le couperet de cette réalité digne d’un fantasme inespéré. Anne Charrier nous embarque dans sa folie dévastatrice et incroyablement séduisante. Didier Brice est tout simplement parfait en mari protecteur prêt à réinventer la vie pour sa belle. En un changement de regard, un fragment de seconde, on perçoit l’inquiétude, la douleur, envahir ses yeux noirs perçants. « Elle avait réussi à donner un sens à ma vie, en la transformant en un bordel perpétuel », raconte-il en amoureux transi. La partition est parfaitement complétée par la candeur extrêmement juste de Victor Boulenger, fils dévoué, subjugué par sa mère tantôt star de cinéma, tantôt danseuse dévergondée. A l’école, personne ne croit les insensées aventures qui se passent à la maison. Et quand il rentre chez lui, il raconte à sa chère mère des histoires imaginaires, car la réalité est pour elle, « banale et triste ».

Le trio transcende le quotidien, le transforme en un monde d’espoir et d’extravagance irrésistible. Mais qui peut empêcher la fulgurance d’un tel rêve ? On ressort de la pièce complètement chamboulé mais le sourire aux lèvres, avec une petite musique en tête, crissant au loin sur un vieux vinyle : Mr.Bojangles. Foncez, vraiment.
En attendant Bojangles au théâtre de La Pépinière
7, rue Louis-le-Grand - 2e
D’après le roman d'Olivier Bourdeaut
Adapté et mis en scène par Victoire Berger-Perrin
Avec Anne Charrier, Didier Brice et Victor Boulenger
