Le théâtre du Petit Saint-Martin nous réserve souvent de belles surprises. Après l'excellent Réparer les Vivants, c'est donc le cœur léger que je me suis rendue dans cette salle intimiste et chaleureuse pour un nouveau seul en scène. À raison.
L'Angoisse du roi Salomon, c'est d'abord un livre de 1979 : le dernier signé Ajar - alias Romain Gary - qui se suicidera un an plus tard après avoir berné tout le monde avec ses deux prix Goncourt. Une dimension tragique qui imprègne fortement cette œuvre. « Romain Gary avait prévenu depuis longtemps : "Je ne vieillirai pas" ; alors, il se rêve à travers la figure volcanique et généreuse de ce roi Salomon, qui défie la mort. Et il s'imagine transmettant sa passion de la vie à un jeune homme, Jean... », explique Bruno Abraham-Kremer, comédien, metteur en scène et auteur, qui avait déjà incarné au théâtre un personnage de Romain Gary dans La Promesse de l'Aube - près de 300 représentations à travers le monde !
©Pascal GELY
Dans L'Angoisse du roi Salomon, l'acteur revient dans la peau de Jean qui, 25 ans plus tard, raconte à son fils sa miraculeuse rencontre avec Monsieur Salomon. Nous sommes en 1978 et il se souvient... Il n'a que 25 ans lorsque, au volant de son taxi, il fait la rencontre de l'élégant Salomon Rubinstein, 84 ans. Le "roi Salomon" qui, après avoir fait fortune dans le prêt-à-porter, a décidé de prodiguer ses largesses à ceux qui n'y croient plus. Embauché comme chauffeur personnel de Monsieur, Jean découvre peu à peu la solitude du vieux Salomon, son caractère volcanique, et surtout ses amours mal éteintes avec Cora Lamenaire, une ancienne chanteuse réaliste qu'il a connu avant-guerre et dont la carrière s'est arrêtée net à la Libération...
Dans la langue gouailleuse et malicieuse de Romain Gary, Jean, avec sa gueule de voyou ou d'amour, c'est selon, nous entraîne avec humour et poésie dans ses aventures rocambolesques sur les trottoirs d'un Paris populaire aujourd'hui révolu ; il nous plonge avec une touchante humanité dans une histoire d'amour contrariée, et porte avec légèreté l'ombre d'une mort omniprésente mais sans cesse refoulée.
©Pascal GELY
A la fois seul et multiple, Bruno Abraham-Kremer livre une prestation magnifique, subtile, tendre et joyeuse. Tout, de l'accent titi à la mise en scène, est d'une remarquable justesse. Une expérience poétique pleine de panache que l'on recommande chaudement aux amoureux d'un autre temps.
Jusqu'au 28 février 2018
Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René-Boulanger - 10e
Tarifs : 30,50€